Dix jours après sa nomination à la tête du FMI, Christine Lagarde, qui a pris mardi ses fonctions à Washington, saura vendredi si son destin international est entaché par l'ouverture à Paris d'une enquête sur son rôle dans une affaire liée à l'homme d'affaires Bernard Tapie.

L'ex-ministre française des Finances, aux prises en Grèce avec l'une des plus graves crises que le FMI ait eu à gérer dans son histoire, pourrait être confrontée à une toute autre crise, judiciaire celle-là et 100% française.

Vendredi, en fin de matinée, la Cour de Justice de la République (CJR), juridiction compétente en France pour juger les crimes et les délits commis par les ministres dans l'exercice de ses fonctions, doit se prononcer sur l'ouverture ou non d'une enquête pour «abus d'autorité» visant Mme Lagarde.

En cause, un arbitrage rendu en faveur du sulfureux homme d'affaires Bernard Tapie dans la vente litigieuse d'Adidas par l'ex-banque publique Crédit Lyonnais en 1993.

Aux termes de cet arbitrage contesté, quelque 400 millions d'euros de dédommagement devaient être versés à Bernard Tapie par le CDR, la structure publique gérant les actifs douteux du Crédit Lyonnais. L'ex-homme d'affaires aurait, selon certains parlementaires, récupéré plus de 200 M EUR.

Le parquet général reproche à Mme Lagarde d'avoir recouru à un arbitrage, procédure de justice privée, alors qu'il s'agissait de deniers publics, d'avoir eu connaissance de la partialité de certains juges-arbitres et de ne pas avoir exercé de recours contre la sentence arbitrale, alors que plusieurs spécialistes l'y encourageaient.

Le 10 mai, Jean-Louis Nadal, alors procureur général près la Cour de cassation, a saisi la commission des resquêtes de la CJR, estimant qu'il existait des éléments justifiant une enquête pour «abus d'autorité».

De son côté Christine Lagarde, 55 ans, qui a succédé à la tête du FMI à son compatriote Dominique Strauss-Kahn visé par des accusations d'agression sexuelle, n'a cessé de dire qu'elle avait «la conscience totalement tranquille» dans cette affaire «qui n'a aucune substance de nature pénale».

Pour son avocat, Yves Repiquet, sa cliente est totalement étrangère à la procédure d'arbitrage. «Elle n'a ni organisé l'arbitrage, ni pris des décisions en lieu et place du CDR», assure-t-il.

Première hypothèse: la commission des requêtes classe sans suite. Deuxième possibilité: insuffisamment informée, elle demande à se faire communiquer des documents supplémentaires. Troisième option: elle rend un «avis favorable» à l'ouverture d'une enquête.

Trois magistrats seraient alors désignés pour la conduire avec la possibilité d'un procès, au bout de la procédure.

S'il y a enquête, elle sera longue et, le cas échéant, l'ancienne ministre ne serait pas jugée avant plusieurs années. Depuis sa création en 1993, la CJR a examiné plus d'un millier de plaintes et jugé six ministres.

Cette affaire, connue depuis plusieurs semaines, n'avait pas eu d'impact sur la nomination de Christine Lagarde au FMI.

Mme Lagarde pourrait également être éclaboussée par une autre procédure: une enquête ouverte mi-juin par le parquet de Paris sur le rôle de hauts fonctionnaires qui ont conclu l'arbitrage favorable à Bernard Tapie.

Cette enquête pour «abus de pouvoirs sociaux» ne la cible pas directement, mais vise implicitement Jean-François Rocchi, le président du Consortium de Réalisation (CDR) et un autre haut fonctionnaire, Bernard Scemama. Tous deux ont appliqué la décision de l'ancienne ministre de l'Economie de recourir à un arbitrage.