Elena Bonner, décédée samedi à Boston (États-Unis) à 88 ans, a été pendant 20 ans une figure majeure de la lutte pour les droits de l'Homme en Union soviétique aux côtés de son mari, le Prix Nobel de la paix Andreï Sakharov.

«En faisant le bilan aujourd'hui, je peux résumer ma vie en trois mots. Ma vie a été typique, tragique et belle», avait-elle déclaré dans un discours prononcé à Oslo il y a deux ans.

Elena est née en 1923 dans une famille de communistes convaincus. Son père, actif pendant la Révolution en Transcaucasie, est un responsable du Komintern (L'internationale communiste) ce qui permet à la jeune Elena de croiser dans l'appartement familial le futur maréchal Tito et Gueorgui Dimitrov, futur dirigeant communiste de la Bulgarie.

Elena Bonner a 14 ans quand son père est arrêté en 1937, au plus fort des purges staliniennes. Il est fusillé l'année suivante. Sa mère, condamnée à huit ans de camp, passera au total 18 ans entre la prison, le camp et l'exil. Tous les deux seront réhabilités en 1954, après la mort de Staline.

Engagée volontaire comme infirmière lors de la Seconde Guerre mondiale, Elena Bonner est blessée à deux reprises. Après la guerre, elle devient pédiatre, se marie avec un médecin de Leningrad et a deux enfants, Alex et Tatiana, auprès de laquelle elle a vécu ces dernières années à Boston.

Après la timide déstalinisation lancée par Nikita Khrouchtchev en 1956, Elena Bonner entre au Parti communiste, «la plus grande erreur de ma vie», dira-t-elle des années plus tard.

L'invasion par les chars soviétiques de la Tchécoslovaquie en 1968 met fin à ses espoirs de libéralisation du régime communiste et elle quitte le parti en 1972, un geste sacrilège alors en Union soviétique.

À cette époque, Elena est engagée depuis plusieurs années déjà dans le mouvement des droits de l'Homme. C'est ainsi qu'elle rencontre Andreï Sakharov en 1970 à Kalouga, une petite ville à 100 km de Moscou, où tous les deux sont venus assister au procès de deux dissidents.

En 1972, Elena Bonner épouse Sakharov, l'un des pères de la bombe à hydrogène soviétique, qui est déjà reconnu en URSS et en Occident comme l'un des symboles de l'opposition, avec l'écrivain Alexandre Soljenitsyne.

«Nous étions des gens absolument libres dans un État absolument pas libre», aimait rappeler Elena Bonner en évoquant ces années de lutte en commun avec Sakharov.

Au sein du Groupe moscovite pour l'application des accords d'Helsinki, l'un des principaux groupes dissidents, Elena Bonner joue un rôle central: elle informe les journalistes étrangers des arrestations, des condamnations, des perquisitions et fait passer clandestinement de nombreux documents en Occident.

Pendant des années, le KGB (services secrets et police politique soviétique) fait d'elle sa cible principale, évitant de s'attaquer de front à Sakharov: les origines juives de Bonner sont alors soulignées pour mieux l'accuser d'être au service de puissances étrangères et d'avoir «détourné du droit chemin» l'académicien Sakharov.

En 1975, son mari ayant été empêché par les autorités soviétiques de se rendre à Oslo pour recevoir le prix Nobel de la paix, c'est elle qui le représente.

En 1980, Sakharov est exilé à Gorki (aujourd'hui Nijni-Novgorod), ville interdite aux étrangers à 500 km à l'est de Moscou, pour avoir dénoncé l'intervention soviétique en Afghanistan.

Elena devient alors le seul lien avec l'extérieur de Sakharov, en faisant des aller-retour entre Moscou et Gorki ponctués de nombreuses interpellations et fouilles par le KGB.

En 1984, elle est à son tour condamnée à 5 ans d'exil à Gorki pour avoir «systématiquement diffusé des informations calomniant l'Union soviétique».

À son retour à Moscou avec Sakharov en 1987, après avoir été graciée par Mikhaïl Gorbatchev en pleine perestroïka, Elena continue son combat.

Elle devient membre de la Commission pour les droits de l'Homme du président Boris Eltsine, mais quitte ses fonctions en 1994 pour protester contre la guerre en Tchétchénie.

Ces dernières années, Elena Bonner ne ménageait pas ses critiques envers l'actuel Premier ministre et ancien président Vladimir Poutine qu'elle considérait comme une menace pour les libertés et les droits de l'Homme en Russie.