Chats malfamés qui courent les rues. Enfants agités qui piaillent en jouant. Voisines qui se parlent de fenêtre à fenêtre. Linge qui sèche au-dessus de la rue. Bazar du coin. Le quartier de Tarlabasi, dans le centre-ville d'Istanbul, est la carte postale même du quartier populaire stambouliote.

Les façades rénovées ont pour le moment l'air mal à l'aise dans le chaos ambiant. Mais ça ne saurait durer.

Situé à un jet de pierre de la place centrale d'Istanbul, Taksim, le quartier qui a longtemps été vu comme un «ghetto kurde», sympathique, mais malfamé, fait partie d'un grand plan de «régénération urbaine» gouvernementale.

Coeur économique et culturel de la Turquie, Istanbul est au centre de mille et un projets de développement. Le boom économique que vit la Turquie depuis 10 ans a eu des répercussions monstres sur cette mégapole qui compte aujourd'hui près de 15 millions d'habitants, soit presque quatre fois la population d'il y a 30 ans.

Il suffit d'aller prendre un verre sur une des multiples terrasses chic qui surplombe le Bosphore ou de se promener sur la rue Istiklal, la main stambouliote, pour voir que le classe moyenne aisée prend beaucoup de place à Istanbul.

Et elle veut se loger dans les quartiers centraux, dont l'ancien quartier gitan de Sulukule, tout comme ici, à Tarlabasi. Le tout se fait avec la bénédiction du gouvernement qui s'en mêle en délogeant notamment les anciens habitants des quartiers pauvres.

Marchand de gaz à chauffage, Sahin Deniz raconte qu'il est l'un des derniers évincés de la «régénération urbaine» à Tarlabasi. Propriétaire d'une jolie maison rose de cinq étages pendant 12 ans, il a reçu il y a quelques années un ordre d'expropriation. «Les responsables du projet m'offraient deux petits appartements en échange dans un quartier éloigné. Ou le quart de ce que vaut ma maison sur le marché. J'ai contesté devant la cour, mais j'ai perdu. Maintenant, je ne peux plus réclamer ma maison».

Le mois dernier, les trois familles qui l'habitaient ont dû faire leurs boîtes. Il suffit de jeter un oeil sur les rues environnantes pour voir que plusieurs ont subi le même sort. Dans le pâté de maisons environnant, presque tout est laissé à l'abandon. «Avec nos maisons, ils vont faire des habitations de luxe», raille Sahin Deniz. «Les entreprises qui font partie du projet vont vendre ces appartements 10 fois plus cher ce qu'ils nous ont payé», dénonce-t-il. D'ici 36 mois, le nouveau projet devrait voir le jour.

Un de ses voisins, qui est toujours devant la cour pour conserver une maison historique qui appartient à sa famille «depuis plus de 1000 ans», dit-il, croit que sa bataille, tout comme celle de Deniz Santis, en est une de droits de la personne. «Dans une vraie démocratie, comment un gouvernement peut-il décider de l'endroit que j'habite?», tonne l'élégant sexagénaire aux cheveux grisonnants, qui préfère garder l'anonymat. «Les droits du gouvernement sont sans limite».

Séduction à la turque

Les politiciens de la Turquie peuvent bien s'esquinter sur de grands discours, c'est une jolie brune prénommée Gümüs qui, plus que tout, a réussi à faire la promotion du «modèle turc» à travers le monde arabe.

Les Arabes l'appellent Noor, et connaissent tout des hauts et des bas de sa vie de femme mariée, riche en rebondissements, dans une famille aisée d'Istanbul.

Vous l'aurez sans doute deviné, Gümüs est un personnage fictif et elle est la star d'un mélodrame turc qui a conquis les coeurs du monde arabe et du grand monde musulman, du Maroc au Kazakhstan. Son succès été suivi par plusieurs autres soap opera à la turque qui récoltent des cotes d'écoute records.

«Ça donne un air hollywoodien à la Turquie. Comme si chaque famille vivait dans une villa sur le bord du Bosphore. Les femmes surtout sont envieuses en voyant les femmes turques à l'écran. Elles vivent dans un pays musulman, mais semblent en avoir plus qu'elles», note Hugh Pope, expert de la Turquie au International Crisis Group, en notant que les émissions télévisées ne sont qu'une des exportations turques dans le monde musulman. «Les trois-quarts des maisons moyen-orientales possèdent des biens faits en Turquie. Le pays est devenu un symbole de bonne qualité à bon prix», ajoute-t-il.

La popularité de la Turquie en Orient a aussi monté en flèche depuis que le gouvernement pro-islamique du Parti justice et développement, l'AKP, a ouvert les bras à ses voisins orientaux, du monde arabe à l'Asie centrale, en laissant notamment tomber les exigences de visas avec plusieurs d'entre eux.

Mettant de l'avant une nouvelle politique étrangère qui cherche à établir des relations avec «Zéro Problème» avec ses voisins, la Turquie, tout en étant membre de l'OTAN, entretient aujourd'hui des relations plus cordiales avec les pays musulmans - y compris l'Iran - tout en maintenant les négociations pour entrer dans l'Union européenne. Résultat de l'opération charme: les exportations turques vers le Moyen-Orient sont passées annuellement de 2 milliards à 16 milliards au cours des dernières années. Zéro problème, vous dites?