L'arrestation de Ratko Mladic, le «visage du crime» pour nombre de victimes des guerres de l'ex-Yougoslavie, représente un pas majeur pour la justice et la réconciliation mais ne soignera pas seule toutes les blessures d'un passé tragique.

«C'est un pas très, très important mais c'est comme mettre un pansement sur une immense blessure. Il faut bien davantage pour soigner la blessure», causée par les conflits qui ensanglantèrent les Balkans, souligne Refik Hodzic du Centre international pour une justice de transition à New York.

Survenues il y a moins de 20 ans, les guerres en Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine et au Kosovo ont fait des dizaines de milliers de morts, occasionné des campagnes de viol et de détention qualifiées de crimes contre l'humanité et profondément divisé les citoyens de ce qui fut un pays, la Yougoslavie.

«Pour beaucoup de victimes, Mladic est le ¨visage du crime¨ en raison des images qui le montrent se félicitant des opérations à Srebrenica», remarque M. Hodzic, un Bosnien qui a travaillé de nombreuses années avec les victimes pour le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY).

En 1995, plus de 8000 garçons et hommes musulmans furent exécutés en quelques jours par les forces serbes de Bosnie dans cette ville, un génocide selon le TPIY.

Alors que le président Boris Tadic avait évoqué jeudi la «fermeture d'un chapitre de l'histoire de notre région», Natasa Kandic, figure serbe dans la défense des droits de l'homme, met en garde contre l'idée de voir l'envoi de Mladic à La Haye comme une page tournée.

«J'ai peur que nos hommes politiques croient que l'arrestation de Mladic soit la bonne chose pour refermer la question du passé», a-t-elle dit à l'AFP à Belgrade.

«Or, la prochaine étape c'est d'avoir un grand débat, dans tous les pays de l'ex-Yougoslavie sur ce passé», insiste-t-elle, afin d'établir les faits, hors de toute propagande nationaliste.

Une tâche titanesque alors que les livres d'histoire présentent des versions très différentes des guerres que l'on soit en Croatie ou en Serbie ou dans le même pays comme entre la Républika Srpska et la Fédération croato-musulmane, les deux entités de Bosnie.

Et que Ratko Mladic est aussi bien qualifié de «héros» par les Serbes nationalistes de Bosnie que de «criminel» par le reste des Bosniens.

«Si l'on veut une paix durable et éviter que des conflits surgissent dans cinquante ans, il est crucial que les jeunes apprennent vraiment ce qui s'est passé», insistent M. Hodzic et Mme Kandic.

Pour avancer vers une histoire commune, le Centre pour le droit humanitaire de Mme Kandic et une coalition d'ONG dans toute l'ex-Yougoslavie ont lancé une pétition pour demander aux gouvernements la création d'une commission régionale, REKOM, pour établir les faits sur les victimes des guerres entre 1991 et 2001.

Cette initiative a récolté 300 000 signatures jusqu'ici avec l'espoir est d'arriver à un million fin juin, selon Mme Kandic.

La balle est dans le camp des responsables politiques qui doivent abandonner la rhétorique nationaliste et «cesser de manipuler les victimes pour masquer leur incompétence à traiter les problèmes», selon les experts.

«L'arrestation de Mladic fournit une occasion cruciale aux gouvernements de s'attaquer sérieusement et réellement à l'héritage de cette tragique décennie», selon David Tolbert, président du Centre international pour une justice de transition.

«L'arrestation est un signe fort contre l'impunité. Elle montre que de hauts responsables même protégés peuvent finir par rendre des comptes», souligne Joël Hubrecht de l'Institut des hautes études sur la Justice à Paris. Et d'ajouter: «Elle ne referme pas une page. Au contraire, on en ouvre une: le procès devra être l'occasion de se confronter à ce passé».