La ministre française des Finances Christine Lagarde, associée aux grandes décisions sur l'euro et pièce maîtresse du gouvernement, est menacée de poursuites judiciaires dans un dossier lié à l'ex-homme d'affaires controversé Bernard Tapie.

Le parquet général a demandé mardi à la Cour de justice de la République (CJR), seule juridiction compétente pour juger un ministre pour des faits commis dans l'exercice de ses fonctions, d'ouvrir une enquête contre Mme Lagarde pour «abus d'autorité».

En cause: une décision de la ministre de recourir à un tribunal arbitral, donc à la justice privée, plutôt qu'à la justice traditionnelle, pour régler un litige entre Bernard Tapie et l'ex-banque publique Crédit Lyonnais à propos de la vente du groupe Adidas en 1993.

Au terme de cet arbitrage contesté, rendu en juillet 2008, l'ancien homme d'affaires devrait toucher plus de 200 millions d'euros de l'  .

Le procureur général près la Cour de cassation Jean-Louis Nadal a «relevé de nombreux motifs de suspecter la régularité, voire la légalité du règlement arbitral litigieux pouvant caractériser le délit d'abus d'autorité», délit passible de cinq ans de prison et 75.000 euros d'amende.

«C'est une étape normale de la procédure» qui «va permettre à Mme Lagarde de produire à nouveau toutes les informations en sa possession et de démontrer l'absence de fondement de ce dossier», a-t-on commenté dans l'entourage de la ministre.

Cette affaire est le premier nuage de taille pour Christine Lagarde, 55 ans, personnage-clé du gouvernement de Nicolas Sarkozy depuis 2007. Cette femme élégante aux cheveux gris, ancienne avocate d'affaires aux États-Unis, a connu une ascension politique fulgurante.

Après avoir joué un rôle très remarqué à l'international pendant la crise financière, elle se voit chargée des dossiers délicats du G20 et étroitement associée à la gestion de la monnaie unique, en pleine période de crise de l'euro.

La demande d'enquête fait suite à une initiative des députés socialistes, qui avaient écrit le 1er avril à M. Nadal pour obtenir la saisine de la CJR, dénonçant «la complaisance et la connivence du pouvoir» dans cette «affaire d'État».

La décision du tribunal arbitral avait soulevé une vive polémique.

Ancien ministre, Bernard Tapie a été le symbole d'une certaine forme de réussite et de pratiques controversées dans les années 1980/1990. Après avoir fait fortune dans les affaires, dirigé le club de football de Marseille, connu la ruine et la prison, il s'est depuis reconverti comme acteur.

M. Nadal a saisi mardi la commission des requêtes, qui devra dire, probablement d'ici un mois, si elle ouvre ou non une enquête. Le cas échéant, le procureur général saisirait immédiatement la commission d'instruction de la CJR qui lancerait des investigations.

Le parquet général reproche à Christine Lagarde d'avoir recouru à un arbitrage alors qu'il s'agissait de deniers publics. Il s'interroge également sur les conditions d'évaluation des sommes accordées à Bernard Tapie, ainsi que sur l'impartialité des arbitres.

Enfin, la ministre pourrait avoir à expliquer pourquoi elle a refusé d'exercer un recours contre la sentence arbitrale, alors que plusieurs spécialistes l'y encourageaient.

Selon le parquet général, une telle procédure pourrait entacher de nullité la sentence de juillet 2008.