Quelques mois après avoir vu son immunité judiciaire levée par le plus haut tribunal du pays, le chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, doit affronter une série de procès qui menacent de précipiter sa chute. Notre journaliste s'est rendu à Milan pour faire le point alors que commencent ce matin les audiences du «Rubygate».

Depuis quelques semaines, des dizaines de partisans du chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi, se réunissent chaque matin devant le tribunal de Milan pour lui souligner leur soutien.

«La politique dans les urnes, pas dans les tribunaux», affirme une grande bannière posée par les manifestants, qui s'indignent des procédures judiciaires multiples intentées contre leur héros.

«Ils veulent lui couper les jambes, accuse Antonio, un retraité. Ils? «La gauche», résume l'homme de 71 ans, qui porte un imposant drapeau italien.

Aldo Salafia, autre retraité de 65 ans, explique sans sourciller que de l'argent acheminé en Italie par l'Union soviétique il y a plusieurs décennies a servi à financer la formation des juges «communistes» qui attaquent aujourd'hui Silvio Berlusconi.

Une autre femme aux cheveux teints en rouge crie «Vive Berlusconi!» en brandissant une image altérée du tribunal de Milan montrant le bâtiment décoré avec des drapeaux soviétiques.

Les arguments des manifestants collent étroitement à la rhétorique du chef du gouvernement, qui se dit «persécuté» par des juges «communistes» acquis aux intérêts de la gauche.

L'argument risque peu d'émouvoir la justice italienne, qui a relancé plusieurs procès bloqués contre le politicien après que la Cour constitutionnelle eut levé partiellement son immunité judiciaire en janvier.

Soirées érotiques

Silvio Berlusconi est notamment accusé d'avoir versé un pot-de-vin à un ancien avocat, David Mills, pour l'inciter à faire un faux témoignage. Il fait aussi face à des allégations de fraude fiscale et d'abus de confiance dans la gestion de l'une des filiales de son empire médiatique. Le chef du gouvernement a brièvement participé à une audience préliminaire la semaine dernière à ce sujet, marquant son premier passage en cour depuis huit ans. Il a ri des accusations lancées à son encontre.

Le politicien nie aussi toute malversation dans l'affaire du Rubygate. Le procès, qui s'ouvre aujourd'hui, pourrait lui valoir jusqu'à 15 ans de prison.

Silvio Berlusconi est accusé d'avoir payé pour avoir des relations sexuelles avec une femme qui était mineure au moment des faits, Karima El Mahroug, connue comme «Ruby la voleuse de coeurs». Il est aussi accusé «d'abus de pouvoir» pour avoir fait directement pression sur les autorités policières de Milan afin de faire libérer la jeune femme après qu'elle eut été appréhendée pour une affaire de vol.

Les avocats du chef du gouvernement affirment qu'il est intervenu dans l'intérêt de l'État parce qu'il croyait que Mme El Mahroug était la nièce de l'ex-président égyptien Hosni Moubarak. Il nie avoir eu des relations sexuelles avec la jeune femme, qui reconnaît simplement avoir reçu des cadeaux de plusieurs milliers d'euros du politicien.

Des interceptions de conversations téléphoniques ont démontré que Silvio Berlusconi recevait dans une villa de Milan des dizaines de jeunes femmes pour des soirées érotiques où les participantes se disputaient le droit de passer la nuit avec lui. Trois personnes ayant participé à l'organisation de ces soirées «bunga bunga» sont soupçonnées d'avoir orchestré un réseau de prostitution.

Italiennes indignées

Le Rubygate a suscité l'indignation de centaines de milliers d'Italiennes qui ont défilé dans plusieurs villes du pays en février pour protester contre la manière dont Silvio Berlusconi «dénigre» les femmes.

Manola Morticelli était du nombre. Cette résidante de Milan de 58 ans, qui milite dans un mouvement civil réclamant la chute du politicien, s'indigne qu'il cherche par ses actions à réduire la femme à «un objet avec un cul et des seins, sans cervelle».

Le chef du gouvernement, souligne-t-elle, a toujours choisi les candidates de son parti pour leur apparence plutôt que leur expérience. «Il a recréé dans la réalité ce qu'il avait créé dans la fiction avec ses émissions de télévision», critique Mme Morticelli. Elle espère voir le Rubygate précipiter la chute du politicien en secouant ses assises dans les milieux catholiques, encore très importants en Italie.

Le chef du gouvernement, malgré ses bravades, aimerait bien éviter le déballage prévu et cherche à contester, avec l'aide du Parlement, la juridiction du tribunal de Milan. Il tente parallèlement de faire voter une loi qui pourrait raccourcir la période de prescription pour certains délits, une modification qui le mettrait à l'abri de l'affaire Mills.

Les manoeuvres de Silvio Berlusconi et de son entourage n'étonnent pas outre mesure Valerio Onida, respecté professeur de droit italien qui a longtemps siégé à la Cour constitutionnelle.

Le politicien, note ce spécialiste, a plusieurs fois tenté par le passé de faire adopter des modifications législatives qui servaient ses intérêts directs plutôt que l'intérêt général. «Silvio Berlusconi ne se défend pas pendant les procès, il se défend contre les procès», résume M. Onida.