L'ex-président français et maire de Paris Jacques Chirac, qui doit faire face à la justice dans une affaire d'emplois fictifs vieille de 20 ans, pourrait échapper au tribunal pendant plusieurs mois encore grâce à une question de droit.

Le tribunal annoncera aujourd'hui quelle suite il entend donner à la requête d'un autre accusé, Rémy Chardon.

L'ancien directeur de cabinet de M. Chirac à la Ville de Paris demande au tribunal de saisir la Cour de cassation d'une requête portant sur la prescription. S'il accepte, le début du procès pourrait être retardé de plusieurs mois encore.

L'entourage du politicien de 78 ans a assuré qu'il n'était pas à l'origine de cette requête.

Jacques Chirac est accusé, avec une dizaine d'autres personnes, d'avoir orchestré un système d'emplois fictifs dans lequel la Ville de Paris finançait des postes de complaisance ou les postes de membres de son parti qui travaillaient en fait à sa campagne présidentielle de 1995.

L'entourage de l'ancien chef d'État a multiplié les démarches au cours des derniers mois pour bloquer le procès.

Les Français peu scandalisés

La poursuite contre Jacques Chirac, longtemps protégé par son immunité présidentielle, est mal vue par une partie importante de la classe politique française, tant à gauche qu'à droite. La population elle-même ne fait guère reproche des faits allégués à l'ancien président, dont la cote de popularité demeure très élevée.

Pierre Lascoumes, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique, pense que le procès constitue un précieux révélateur du rapport qu'entretient la société française avec la corruption.

Le pays, comme nombre de pays latins, est imprégné d'une culture catholique qui a longtemps fait du rapport à l'argent une question «sale» qu'il valait mieux éviter. «Dans les pays anglo-saxons, le rapport à l'argent est normalisé et peut être normé. Ça ne fait pas disparaître la question de la corruption, mais au moins le problème est vu», dit-il.

Cet héritage n'est pas étranger, selon lui, au fait que la France ne s'est dotée qu'à la fin des années 80 de ses premières lois contre le financement illégal des partis.

La population, poursuit le spécialiste, entretient aujourd'hui une attitude «paradoxale» vis-à-vis de la corruption en politique: «Tout le monde met en avant des grands principes mais, quand il s'agit de voter, les critères sont tout à fait différents. Les Français ont un rapport très utilitariste avec les hommes politiques. Ils votent pour ceux qui peuvent leur rendre service», dit le chercheur, auteur de plusieurs ouvrages sur la question.

Le retour en grâce de l'ancien premier ministre Alain Juppé, qui avait été condamné dans l'une des affaires qui touchent aujourd'hui Jacques Chirac, est «assez typique», selon M. Lascoumes, «de la tolérance élevée de la population».