La police turque a arrêté jeudi plusieurs personnes dans les milieux d'opposition en Turquie, pour la plupart des journalistes connus, dans le cadre d'une enquête sur un complot présumé visant le gouvernement islamo-conservateur, ont rapporté les médias turcs.

L'opération policière menée à Istanbul et à Ankara visait notamment Nedim Sener, du quotidien libéral Milliyet, ont précisé les chaînes de télévision.

Ce journaliste avait été désigné «héros de la liberté de la presse» dans le monde en 2010 par l'Institut international de la presse (IPI) pour son livre sur l'assassinat en 2007 en Turquie du journaliste arménien Hrant Dink.

Onze mandats d'arrêt ont été délivrés par la justice, et la police a procédé à des perquisitions au domicile des suspects présumés.

Les principales personnes visées sont des journalistes du site internet Odatv.com, farouche critique du Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste), au pouvoir.

Le propriétaire de ce site et journaliste de renom, Soner Yalçin, et deux de ses collègues avaient été inculpés et écroués le 18 février à Istanbul dans le cadre de l'affaire Ergenekon, une tentative présumée de déstabilisation politique, qui aurait poussé des militaires à renverser le régime.

L'opposition et une partie de la presse ont protesté contre les nouvelles arrestations, affirmant que le gouvernement cherchait à museler toute contestation par une série d'enquêtes sur de prétendues conspirations, qui ont abouti depuis 2007 à l'incarcération de centaines de personnalités de l'opposition.

Le Parti républicain du peuple (CHP), principale formation de l'opposition, a vu dans les dernières arrestations une campagne gouvernementale destinée à réduire au silence la presse avant les élections législatives prévues en juin.

«L'objectif est de bâillonner les journalistes d'opposition en prétextant de faire la lumière sur des projets de complots», a déclaré Akif Hamzacebi, membre influent du CHP.

Trois autres journalistes, dont deux collaborateurs du site Odatv.com, et un universitaire connu ont été arrêtés jeudi après-midi après la perquisition de leurs domiciles respectifs à Istanbul et à Ankara, a rapporté l'agence Anatolie.

À Vienne où se trouve son siège, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a condamné ces arrestations. «J'appelle les autorités turques à arrêter d'intimider et de menacer des journalistes», a déclaré dans un communiqué Dunja Mijatovic, responsable de l'OSCE pour les médias, en réclamant leur libération «immédiate et sans conditions».

L'IPI, également basé à Vienne, a aussi réclamé leur libération. «Aucun journaliste ne devrait subir arrestation, inculpation et emprisonnement ou harcèlement et intimidation pour son travail qui peut comprendre l'expression de points de vues critiques», a déclaré dans un communiqué la directrice de l'IPI, Alison Bethel McKenzie.

La Commission européenne a également fait part de sa préoccupation en soulignant dans un communiqué que «le droit turc ne garantit pas suffisamment la liberté d'expression».

L'AKP avait initialement présenté le dossier Ergenekon comme une opération judiciaire réussie contre une tentative de coup d'État de l'armée qui avait renversé quatre gouvernements en Turquie depuis 1960.

Mais la crédibilité de l'argument faiblit à mesure que des intellectuels et des journalistes connus comme opposants à l'AKP sont arrêtés dans cette affaire où des suspects accusent la police de fabriquer des preuves.