Des centaines d'habitants du sud de la Belgique, inquiets de la crise politique dans leur pays, se sont lancés avec frénésie dans des démarches visant à acquérir la nationalité luxembourgeoise, gage pour eux d'un avenir plus sûr en cas d'éclatement du royaume.                

Depuis les élections du 13 juin 2010, les partis belges, flamands et francophones, n'ont pas réussi à former un gouvernement, plongeant le royaume dans la plus longue crise politique de son histoire.

L'hypothèse d'une scission du pays, encore taboue il y a quelques années, est maintenant ouvertement évoquée.

«Si la Belgique cesse d'exister, qu'allons-nous devenir ?», s'interroge Pascal Beyaert, un Belge de 48 ans qui vit à Arlon, le chef-lieu de la province belge du Luxembourg, qui jouxte le Grand-Duché.

«Vivrons-nous dans une Wallonie indépendante, serons-nous rattachés à la France ? Pour les gens qui habitent dans le sud de la Belgique, il y a en tout cas du concret: pouvoir se rattacher à un pays où il fait bon vivre, où il y a du travail, la paix sociale, un gouvernement correct. On a un petit eldorado à côté: pourquoi on n'y irait pas?», résume cet ingénieur, père de deux adolescents.

M. Beyaert, qui travaille depuis deux décennies au Luxembourg, a en a acquis la nationalité fin 2010, en profitant d'un assouplissement de la législation luxembourgeoise.

Il lui a «suffi» de prouver que son arrière arrière-arrière-grand-père, Frédéric Furst, était luxembourgeois à la date du 1er janvier 1900, comme le stipule une loi entrée en vigueur en janvier 2009 au Luxembourg.

La nouvelle procédure est d'abord passée relativement inaperçue, puisque seules 22 naturalisations sur cette base ont été approuvées par les autorités grand-ducales en 2009, et 80 en 2010, dont 22 concernaient des Belges et 36 des Français.

Mais le phénomène s'est amplifié en Belgique de manière spectaculaire fin 2010, à la suite de la publication d'un reportage sur ces «nouveaux Luxembourgeois» dans le journal régional L'Avenir.

Depuis lors, les administrations des communes frontalières délivrent à tour de bras des actes de naissance, de mariage et de décès d'une grand-mère ou d'un arrière-grand-père à des citoyens cherchant à prouver qu'ils sont les descendants directs d'un ancêtre luxembourgeois.

«Nous recevons environ 15 demandes par jour», confirme une employée débordée du service état-civil d'Arlon.

À Messancy, autre localité frontalière, «un bon millier d'actes» ont été délivrés en moins d'un mois, selon l'administration municipale.

«Certains s'imaginent que leurs enfants auront une chance de plus de briguer un emploi dans la fonction publique luxembourgeoise», où les salaires sont bien meilleurs qu'en Belgique, explique l'échevin (adjoint au maire) chargé du dossier à Arlon, Georges Medinger.

«Vu les difficultés que nous avons à former un gouvernement et les échos d'une possible dislocation de la Belgique, certains pensent aussi qu'avec cette nationalité luxembourgeoise, ce serait un plus pour se faire absorber par le Luxembourg», ajoute l'élu du parti centriste CDH, pour qui ce scénario paraît toutefois peu probable.

Au Luxembourg, on relativise l'ampleur du phénomène. «Il ne faut pas dramatiser. Le Luxembourg ne va pas devenir belge et la Belgique ne va pas devenir exsangue», a affirmé à l'AFP le ministre luxembourgeois de la Justice, François Biltgen.

Soulignant le nombre élevé de Belges qui travaillent déjà au Luxembourg et la grande proximité culturelle de part et d'autre de la frontière, M. Biltgen juge «absolument normal que ces gens recherchent leurs racines luxembourgeoises».

Il n'a aucune intention de changer la loi, prévue pour rester en vigueur jusqu'en 2018.