À la fin du mois de novembre, la publication d'extraits du nouveau livre du pape, Lumière du monde, a fait des vagues. Benoît XVI y ouvre la porte à l'utilisation de préservatifs pour limiter la transmission du sida. Depuis, les théologiens se disputent pour délimiter la portée de ses propos.

Alors que le livre vient d'arriver en librairie au Québec, La Presse s'est entretenue avec trois théologiens pour savoir si le pape ouvrait la porte au port du préservatif chez les couples sérodiscordants, dont l'un des conjoints est séropositif et l'autre non. Le Conseil pontifical pour la santé a examiné la question en 2006, mais n'a jamais publié son rapport, que les rumeurs voulaient favorable à l'utilisation du préservatif par les couples sérodiscordants.

«Benoît XVI n'a pas spécialement parlé des couples sérodiscordants, mais je crois que ses propos peuvent s'appliquer à leur cas», estime Gilles Routhier, prêtre diocésain qui enseigne la théologie à l'Université Laval. «Il a expressément dit que si le préservatif est utilisé dans l'intention de réduire le risque de contamination, ça peut être acceptable.»

Dans le livre, tiré de six heures d'entretiens qu'il a eus l'été dernier avec le journaliste catholique allemand Peter Seewald, Benoît XVI dit qu'il «peut y avoir des cas particuliers, par exemple lorsqu'un prostitué utilise un préservatif, dans la mesure où cela peut être un premier pas vers une moralisation». Il précise que, dans ce cas, il s'agit d'une «intention de réduire le risque de contamination», pas de prévenir une conception. Son allusion au préservatif survient à la fin d'une longue réponse à une question sur l'utilisation du préservatif pour lutter contre le sida.

Dans le cas d'un couple séropositif, l'utilisation d'un préservatif peut-elle vraiment être un «premier pas vers une moralisation» ? «Oui, vers l'abstinence», estime Pia de Solenni, théologienne américaine qui a obtenu son doctorat à l'Université Sainte-Croix de Rome, gérée à l'Opus Dei. «Je pense qu'on peut certainement appliquer les propos du pape aux couples sérodiscordants. Tout le monde ne peut pas vivre l'idéal proposé par l'Église. Ça n'empêche pas que l'Église a le devoir de proclamer la vérité de cet idéal. Mais il existe des manières de s'en approcher, des étapes.»

Un théologien de l'Opus Dei, Robert Gahl, de l'Université Sainte-Croix de Rome, n'est pas d'accord. «Dans le cas de la prostitution, il y a vraiment des étapes vers l'humanisation de la sexualité, dit le père Gahl. C'est un peu comme proposer aux toxicomanes d'utiliser des seringues neuves au lieu de réutiliser des seringues souillées. Mais pour un couple sérodiscordant, il n'y a pas a priori de problème moral à la sexualité. Dans ce cas, utiliser un préservatif, c'est un simulacre de sexualité, c'est comme une relation sexuelle par téléphone.»

Les trois théologiens estiment que les propos du pape ne constituent pas un changement doctrinal. «J'aurais répondu de la même manière à une prostituée qui m'aurait posé la question, même avant le livre», dit le père Gahl. Cependant, le fait que le pape s'exprime publiquement sur cette question permet d'officialiser cette approche, souligne M. Routhier.

À noter, les avancées de la rétrovirothérapie permettent maintenant aux couples sérodiscordants de se passer de préservatif, quand certaines conditions sont remplies: charge virale indétectable, bon respect de la rétrovirothérapie et aucune autre maladie transmise sexuellement dans le couple.