Meurtres, viols, intimidation: l'enquête sur le récent massacre de 12 personnes dans une petite ville méridionale terrorisée pendant des années par une bande criminelle a montré aux Russes les conséquences que peuvent avoir la corruption généralisée et une totale impunité.

Les douze personnes, dont quatre enfants, ont été tuées à l'arme blanche début novembre dans la maison d'un fermier qui avait tenté de s'opposer aux règles imposées par le monde criminel à Kouchtchevskaïa, une «cité de la peur» située dans la riche région agricole de Krasnodar, au sud-ouest de la Russie.

«Kouchtchevskaïa: personne n'a rien voulu voir pendant cinq ans. Les forces de l'ordre et le pouvoir local faisaient mine de ne pas voir une bande agissant au vu et au su de tout le monde», titrait vendredi le quotidien officiel Rossiïskaïa Gazeta (RG).

RG avait déjà publié il y a cinq ans une enquête sur la bande de Kouchtchevskaïa, accusée de viols et d'agressions dans cette ville. Des enquêtes ouvertes à l'époque ont rapidement été closes.

Les victimes étaient prévenues qu'il était inutile de porter plainte, les agresseurs étant munis de certificats d'hôpitaux psychiatriques attestant qu'ils n'étaient pas responsables légalement, selon le journal.

Des enquêtes évoquées vendredi par plusieurs quotidiens russes révèlent pourtant que les douze personnes arrêtées après les meurtres avaient déjà fait l'objet de plaintes des habitants et de députés, que la police et le parquet ont préféré ignorer.

Un fermier, Edouard Karpenkov, a raconté au quotidien des affaires Vedomosti qu'il avait porté plainte pour escroquerie contre une société contrôlée par Sergueï Tsapok, ancien député local et chef présumé de la bande.

«Il a menacé de faire exploser ma maison, a dit qu'il avait des amis au parquet et que si je ne cédais pas, je perdrais mes terres et ma santé», a déclaré l'agriculteur.

La plainte n'a jamais été examinée, et c'est le fermier lui-même qui a été visé par une enquête pour «menace de meurtre», écrit Vedomosti.

Après le massacre commis au début du mois, qui a suscité l'émotion dans un pays pourtant habitué ces dernières années à la montée de la violence, c'est le parquet général qui s'est chargé de l'enquête depuis Moscou.

Des enquêteurs ont été dépêchés de la capitale sur place pour encourager les habitants à témoigner.

Car le chef de la police locale a nié les faits.

«Il n'y a jamais eu de bande», a lancé Viktor Bournossov devant les caméras. «On n'observe pas une hausse de la criminalité, les indicateurs sur les crimes graves sont en baisse», a-t-il ajouté. Avant de donner sa démission.

Le gouverneur de la région de Krasnodar, Alexandre Tkatchev, s'est rendu vendredi à Kouchtchevskaïa pour assurer à ses habitants que ces crimes avaient été «élucidés» et que les habitants ne devaient «pas avoir peur».

La bande active depuis 1995 et forte de 30 membres, extorquait leurs terres aux fermiers. Selon de nombreux témoignages d'habitants publiés dans la presse, ils ont également commis de nombreux viols.

Vingt-huit enquêtes pour viol, auxquelles n'avait pas été donnée suite, vont être rouvertes, a indiqué un haut responsable parlementaire, Vladimir Vassiliev.

Pour Andreï Riabov, analyste politique du centre Carnegie de Moscou, le drame de Kouchtchevskaïa est révélateur du règne du non-droit en Russie.

«Ce n'est pas un banditisme classique, mais l'alliance des bandits et des fonctionnaires. Cela peut arriver n'importe où», souligne-t-il.