Vladimir Poutine avait parlé d'une «haute trahison» après le démantèlement en juin d'un réseau d'agents de Moscou aux États-Unis: le traître à l'origine de ce revers retentissant est un responsable des services de renseignement, dont la défection a lancé une vaste purge.

Selon le très réputé quotidien russe Kommersant, qui cite jeudi des sources anonymes au sein des services secrets, le traître a été identifié comme étant le colonel Scherbakov, un responsable du SVR, le service de renseignement extérieur.

Cette information a été confirmée par un responsable de la commission à la sécurité de la Douma (chambre basse du Parlement), Guennadi Goudkov, lui-même un ancien des services.

«Le préjudice causé par le colonel Scherbakov est tellement énorme qu'il faut en analyser les causes», a-t-il dit à l'agence Interfax.

Le porte-parole du SVR, Sergueï Ivanov, n'a ni confirmé ni démenti ces informations, déclarant ne «pas commenter des informations de presse», selon les agences russes.

D'après les sources de Kommersant, Scherbakov a «longtemps travaillé au SVR comme chef du département américain du service travaillant avec les agents illégaux».

Il était donc le supérieur des dix agents arrêtés en juin aux États-Unis et livrés le mois suivant à Moscou dans un échange de prisonniers digne de la guerre froide.

Selon Kommersant, Scherbakov a quitté son pays trois jours avant la visite en juin du président russe Dmitri Medvedev aux États-Unis. L'affaire des espions avait éclaté peu après.

Le journal s'étonne que les services russes ne se soient pas inquiétés du fait que la fille du colonel Scherbakov vivait elle-même aux États-Unis. Son fils, qui travaillait selon Kommersant dans le service russe de lutte contre le trafic de drogue, avait pour sa part quitté le pays peu avant.

Selon le journal, dont les informations étaient reprises jeudi par les médias publics en Russie, le démantèlement du réseau par Washington a de fait donné lieu à une vaste enquête interne.

«C'est une grande lessive, au terme de laquelle des têtes et des épaulettes vont sauter», a déclaré une source du journal.

Une rumeur court même sur le remplacement à la tête du SVR de Mikhaïl Fradkov (ex-premier ministre) par Sergueï Narychkine, le chef de cabinet de l'actuel président Dmitri Medvedev, ajoute Kommersant.

Une mutation qui, si elle se vérifiait, soulignerait encore l'étroite imbrication des services de l'État et des services secrets en Russie depuis l'arrivée au Kremlin en 2000 de l'ex-agent du KGB Vladimir Poutine.

En juillet, Vladimir Poutine, aujourd'hui premier ministre, avait explicitement mis le revers des services russes sur le compte d'une «haute trahison».

«Les traîtres finissent toujours mal», avait-il ajouté, dans une allusion à peine voilée aux traditions de vengeance des services secrets contre leurs transfuges.

«Nous savons qui il est et où il est. Il a trahi soit pour de l'argent, soit parce qu'il s'est fait coincer sur quelque chose», a déclaré à Kommersant un membre de l'administration du Kremlin.

«Vous ne devez pas en douter: un Mercader a d'ores et déjà été mis sur ses traces», a-t-il dit, citant le nom de l'agent espagnol du NKVD (ancêtre du KGB) qui fut chargé par Moscou d'assassiner l'ancien leader bolchevique Léon Trotsky en 1940 au Mexique.

Les services de la Russie post-communiste n'ont pas forcément renoncé aux usages en vigueur durant la guerre froide.

Alexandre Litvinenko, un agent du FSB (ex-KGB) réfugié à Londres et devenu un opposant au Kremlin est mort en 2006 d'un empoisonnement au polonium 210, une substance hautement radioactive. Londres exige en vain l'extradition du principal suspect, l'ex-agent du FSB Andreï Lougovoï.