Après avoir détruit l'écosystème d'une petite rivière hongroise, la boue rouge a atteint hier le Danube, deuxième fleuve d'Europe. Depuis lundi, la fuite d'un réservoir d'une usine de bauxite et aluminium de Hongrie a suscité la fuite de plus de 1 million de mètres cubes de boue rouge toxique.

L'accident industriel a déjà fait quatre morts et plus de cent cinquante blessés et trois personnes sont toujours portées disparues. Selon les autorités hongroises, tout l'écosystème de la rivière Marcal, située à proximité de l'usine, est mort.

Si les images des boues rouges ont fait le tour du monde, ce genre d'incident n'est pas inédit au Québec, qui a connu ses deux derniers déversements au Saguenay en 2007 et en 2008.

Q Qu'est-ce qui a provoqué le déversement de boues rouges?

R L'aluminium est produit grâce à l'alumine, que l'on trouve dans un minerai, la bauxite. L'alumine est extraite grâce à un traitement chimique. Ce qui reste après ce traitement sont les boues rouges, composées d'eau, d'acide caustique et de fer: elles sont très toxiques. Ces boues rouges sont ensuite contenues dans des bassins. En Hongrie, on ignore encore quelles sont les raisons qui ont causé la fuite de ces bassins et réservoirs.

Q Pourquoi les boues sont-elles rouges?

R Les boues sont rouges parce qu'elles contiennent du fer: la bauxite est très riche en fer. «Le fer oxydé, vous le savez, devient rouge. La boue rouge est très agressive. On sait que ce qui est acide peut percer une table, mais à l'inverse ce qui est basique (qui a un pH élevé) peut être nocif aussi», dit Mario Fafard, professeur à la faculté des sciences et de génie de l'Université Laval et directeur du Centre de recherche sur l'aluminium.

Q Quel impact cela va-t-il avoir sur l'environnement?

R En Hongrie, on considère d'ores et déjà que les boues rouges sont responsables de la mort de l'écosystème de la rivière Marcal, à proximité de l'usine. Des centaines de poissons sont morts et les experts ne prévoient pas de retour à la vie avant les trois à cinq prochaines années.

Toutefois, la boue, au long de son parcours, s'est peu à peu diluée. C'est au confluent avec la rivière Raab que le Danube a connu son plus fort taux alcalin. Ensuite, quand le flux toxique est passé d'un bras du Danube dans le cours principal, le taux alcalin est redescendu: la catastrophe écologique serait évitée.

«On dit toujours que la solution à la pollution, c'est la dilution. Tout revient à la normale à un moment donné. Pour l'eau, cela peut avoir un impact, mais cela dépend le niveau. Il y a aussi des métaux dans les boues rouges qui ne sont pas très agréables à avoir en suspension dans l'eau», croit Mario Fafard.

On peut aussi craindre l'effet, sur le long terme, des dépôts de matériaux toxiques dans les sédiments, dit le directeur général de Nature Québec, Christian Simard. «Il est toujours possible de nettoyer. La vie est très forte, très résiliente», dit-il, avant d'ajouter: «Tout se nettoie, mais rien ne disparaît.»

Q Le Québec est-il à l'abri?

R Au Québec, l'alumine est importée et une seule usine produit de l'alumine: Rio Tinto Alcan, au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Toutefois, il y a déjà eu des déversements accidentels. En avril 2007, 49 tonnes de boues se sont écoulées dans le Saguenay. Un peu plus d'un an plus tard, 100 mètres cubes de boues rouges se sont déversés accidentellement dans un ruisseau avant de se retrouver dans le Saguenay.

«Ici, les entreprises font attention, mais on a une chance, c'est que s'il y a un débordement, cela ne touche pas des petits hameaux et des petites rivières comme ce qu'on voit en Europe, dit M. Simard. On a eu tendance à minimiser les impacts parce que les gens ne sont pas les pieds dans la boue. On a eu tendance à beaucoup banaliser.» Ainsi, certains chercheurs font le lien entre les épisodes de boues rouges et l'apparition du cancer de la vessie apparus chez le béluga.

Q Que faire avec les boues rouges?

R Voilà, d'après M. Fafard, le grand défi de l'industrie. «Il y a des projets de recherche sur le traitement des boues rouges: comment les neutraliser ou même les valoriser? Les grandes entreprises multinationales se préoccupent des boues rouges parce qu'on prévoit doubler la production d'aluminium. On n'a pas d'autre choix que de prendre en charge ce problème.»

Avec l'Agence France-Presse