Le gouvernement français croit avoir trouvé la solution pour amener les jeunes délinquants à marcher droit: menacer de mettre leurs parents en prison.

Le député d'Alpes-Maritimes, Éric Ciotti, a déclaré la fin de semaine dernière au nom du parti de la majorité qu'un projet de loi en ce sens serait déposé à l'Assemblée nationale à la rentrée.

«Le message que devra adresser cette loi (...) est de réaffirmer au sein de l'édifice familial cette responsabilité dont les bases ont été sapées depuis mai 68, quand on a commencé à pilonner les notions d'autorité, de discipline, de respect de la règle et, plus globalement, de respect de la loi», a-t-il expliqué au Journal du dimanche.

Le gouvernement entend demander que tout mineur condamné par un juge soit soumis à un «plan de probation» qui comportera des obligations et des interdictions claires ainsi que des objectifs en matière de réussite scolaire, dont les parents seront tenus responsables.

En cas de manquement à ces obligations, les parents eux-mêmes s'exposeront à une peine maximale de deux ans de prison et à une amende de 30 000 (41 000$CAN). «Nul n'est responsable du fait d'autrui, c'est un principe de droit. Mais les parents sont responsables de l'éducation de leurs enfants», déclare M. Ciotti.

Délinquance mal comprise

La proposition du député, qui rejoint les souhaits formulés par le président Nicolas Sarkozy, est très mal accueillie par les professionnels qui travaillent auprès des jeunes délinquants et de leurs familles.

«Je trouve ça affligeant tant sur le plan juridique que social», souligne Félix de Belloy, avocat parisien qui a fondé une organisation de parrainage pour des jeunes en difficulté.

La proposition, dit-il, va d'emblée à l'encontre du droit existant en rendant les parents pénalement responsables des actions de leurs enfants.

«Mais elle démontre surtout une incompréhension majeure de la problématique de la délinquance, comme s'il suffisait de pousser un coup de gueule et de cogner sur la table pour remettre un jeune dans le droit chemin et en faire un bon citoyen», souligne M. de Belloy.

Bon nombre de jeunes délinquants sont élevés par une mère seule qui est dépassée par les événements. «Voilà que, pour sanctionner la mère de ne pas avoir été assez présente, on va la rendre encore plus absente (en la mettant en prison)», dit l'avocat, auteur d'un roman sur les tourments d'une mère qui voit son fils sombrer dans la délinquance.

La loi, telle qu'elle est proposée, risque fort d'être tout simplement inapplicable, conclut M. de Belloy, qui accuse le gouvernement de faire de la démagogie à des fins électoralistes. «Le but de ces lois est d'abord et avant tout de les annoncer», souligne-t-il.

Parents «incarcérables»?

Nora, travailleuse sociale auprès de parents en détresse, note que ces personnes sont souvent complètement dépassées face au comportement de leurs enfants. «Est-ce que c'est en suspendant une épée de Damoclès au-dessus de leur tête qu'on va les aider à réfléchir à leur condition de parents? La réponse est évidemment non», souligne l'intervenante, qui travaille dans le Val-de-Marne, en banlieue parisienne.

«Les gens nous appellent avec une vraie peur, une vraie détresse. Ils cherchent une façon de rétablir le lien avec leurs enfants mais ne savent pas comment», explique-t-elle.

Le juge pour enfants Jean-Pierre Rosenczveig s'est aussi insurgé cette semaine sur son blogue contre l'initiative gouvernementale, que rien ne justifie, à son avis.

Le Code pénal, souligne-t-il, prévoit déjà une peine sévère dans le cas où un parent se soustrait «sans motif légitime à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l'éducation de son enfant». Cette disposition est appliquée de 100 à 150 fois par année, et rarement sous la forme d'une peine de prison.

La modification proposée donnerait carrément à des enfants «pas nécessairement équilibrés» le pouvoir de rendre leurs parents «incarcérables», déplore le magistrat, qui demande ironiquement pourquoi le gouvernement ne va pas plus loin.

Les parents «n'en sont-ils pas là du fait de leurs propres parents? Pourquoi laisser les aïeux en paix?» demande-t-il.

La «vraie question», selon le député socialiste Julien Dray, aussi critique de la proposition gouvernementale, est de savoir «combien on va mettre d'éducateurs sur le terrain, combien d'assistantes sociales, comment va-t-on renforcer l'encadrement scolaire en dédoublant les effectifs des écoles»?

Ces plaidoyers en faveur de la prévention et du soutien n'émeuvent guère M. Ciotti. «On ne peut pas éternellement s'abriter derrière l'excuse sociale ou de faiblesse pour ne pas agir. Nous ne soulevons pas un problème social mais un problème de valeurs.»