Asséchés par plus d'un mois de canicule presque sans précipitations, des dizaines de milliers d'hectares de forêt et de tourbière sont la proie d'incendies depuis une semaine en Russie. Des villages entiers ont été rasés. Notre collaborateur s'est rendu à Mokhovoe, à 150 km au sud-est de Moscou, où les villageois ont dû se défendre par eux-mêmes du feu, faute d'aide des autorités.

Lorsque les flammes ont commencé à avancer sur Mokhovoe jeudi midi, Lioubov Beliakova et ses voisines sont sorties en priant dans les rues poussiéreuses du village, icônes orthodoxes à la main. «En cinq minutes, l'air est devenu noir comme la nuit. La terre brûlait sous nos pieds. Nous avons compris que c'était de très mauvais augure», raconte la comptable retraitée.

La croix avec l'inscription «Que le Seigneur te protège» plantée à l'entrée du village n'a pas pu le sauver. Et encore moins les autorités russes. Les 150 habitants de Mokhovoe n'ont jamais été prévenus de l'approche de l'incendie et aucune mesure n'a été prise pour les évacuer.

Laissés à eux-mêmes, entourés d'une haute forêt et de tourbières asséchées à l'époque soviétique pour servir de combustible, les villageois ont dû se débrouiller. «Les hommes se sont précipités à l'orée de la forêt pour couper des arbres afin d'empêcher le feu d'avancer», explique Mme Beliakova. Rien à faire. En quelques minutes, le village n'existait plus. Un seul immeuble à logements n'a pas été touché par les flammes. Douze maisons et trois édifices ont été détruits.

Ceux qui possédaient une voiture ont pu s'enfuir. Mais dans ce village pauvre peuplé principalement de retraités, certains n'avaient pas ce luxe.

«Ils sont morts asphyxiés dans cette cave.» Maria Mourougova montre le petit abri à légumes bétonné dans le jardin calciné de ses voisins. Ils étaient six à s'y cacher lorsque les flammes ont rasé la quasi-totalité des jardins qui nourrissaient le village.

Mme Mourougova montre un immeuble où habitaient deux vieilles dames. «Elles ont voulu s'enfuir dans la forêt et sont mortes brûlées», indique-t-elle. Pour l'instant, les deux femmes font partie des sept villageois toujours portés disparus. Plus loin, ce sont deux handicapés qui seraient morts dans leur sous-sol, incapables de se lever, selon Mme Mourougova.

Visite de Poutine

Lors d'une visite vendredi dans un autre village ravagé, le premier ministre Vladimir Poutine a été accueilli par une foule hystérique accusant le pouvoir d'inaction. L'homme fort du pays a rejeté le blâme sur les administrations locales, exigeant la démission des politiciens «envers lesquels la confiance des citoyens est mise en doute».

Poutine a aussi promis de quadrupler l'aide prévue pour les victimes des incendies de forêt à 200 000 roubles (6800 dollars) par famille. «Avec cette somme, nous pourrons à peine reconstruire la clôture de notre jardin», estime Lioubov Beliakova, qui ne possédait pas d'assurance, comme le reste des villageois.

À côté d'elle, dans la braise encore fumante de Mokhovoe, des hommes s'affairent à déterrer des pieux de métal calcinés. «Bientôt, les voleurs de ferraille vont passer, explique l'un d'eux. Et mieux vaut déjà avoir le matériel quand nous reconstruirons au lieu de le racheter.»

Mais reconstruira-t-on Mokhovoe? Malgré les promesses de Poutine de rebâtir les villages touchés «d'ici à l'hiver», les habitants doutent que les autorités veuillent investir dans leur bourgade, déjà vieillissante et déprimée avant l'incendie. Agricole, Mokhovoe ne s'est jamais vraiment remis de la chute du communisme et de la fermeture de l'usine du coin, comme des milliers d'autres villages dans le pays.

Et pour reconstruire, encore faudra-t-il que l'aide se rende jusqu'aux sinistrés. Samedi, le patriarche orthodoxe Kirill a appelé les fonctionnaires à ne pas détourner les fonds destinés aux victimes, pratique courante dans le pays, rongé par la corruption. «L'argent qui va être versé aux gens est de l'argent sacré. Que personne ne lève la main sur cet argent, car s'enrichir sur le malheur des autres est un grand péché devant Dieu», a-t-il déclaré dans un discours télévisé.

À Mokhovoe, on préfère ainsi compter sur ses propres forces plutôt que d'attendre une aide du gouvernement qui pourrait être difficile à réclamer en raison de la lourdeur administrative.