À l'appel des syndicats, des centaines de milliers de Français en colère sont descendus dans la rue hier, dans tout le pays, pour manifester leur désaccord avec la réforme des retraites.

Christian Le Moing, menuisier à la Ville de Nanterre, était parmi les manifestants partis de la place de la République, à Paris, dans une ambiance survoltée.

 

Afin de ne pas passer inaperçu, l'homme de 43 ans s'était doté pour l'occasion d'une vuvuzela, cette fameuse trompette qu'utilisent les partisans sud-africains au Mondial.

«Si le gouvernement ne change pas sa position, c'est un Mai 68 qui va lui arriver», a lancé M. Le Moing, qui ne veut rien entendre du report projeté de l'âge légal de la retraite de 60 à 62 ans.

À quelques pas de là, entre les ballons aux couleurs des différents syndicats et les stands de merguez, un homme s'égosillait dans le micro à l'adresse du président français, Nicolas Sarkozy: «Même quand t'écoutes, tu n'entends pas. On va te déboucher ça», a-t-il chanté pour le plus grand plaisir des manifestants.

Delphine de Sartiges est venue avec une petite pancarte marquée d'une grande mise en garde pour les élus: «Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est le plus sacré des droits...»

«Je commence à en avoir vraiment marre que ce soit toujours les mêmes qui paient», a souligné la fonctionnaire de 37 ans, que le manque d'ouverture du gouvernement ne décourage pas. «Pour l'instant, ils ne font que de petites annonces. Sarkozy annonce qu'il annule la garden party annuelle du 14 juillet à l'Élysée, mais ce n'est pas ça qu'on veut», a-t-elle dit.

Pascal Armand, lui, réclame «l'abrogation totale» du projet de loi sur les retraites. «Le gouvernement met la barre très haut dans ses demandes pour pouvoir ensuite dire qu'il nous a fait des concessions. C'est un marché de dupes qu'il nous propose», a dit ce spécialiste en informatique de 56 ans.

«J'ai commencé à travailler à 16 ans. Si la loi est adoptée, je devrai travailler au-delà de 61 ans et j'aurai cotisé pendant 45 ans. Ce n'est pas normal», s'est indigné le syndicaliste, qui promet une rentrée automnale «très, très chaude».

Mesures «indispensables»

La colère des participants à la manifestation de Paris trouve écho dans le discours des dirigeants des principales centrales syndicales, qui ont misé hier sur une forte mobilisation pour faire pression sur le gouvernement.

Selon Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, 2 millions de personnes se sont mobilisées dans le pays, presque deux fois plus que lors de la dernière journée de mobilisation, en mai.

François Chérèque, dirigeant de la CFDT, a affirmé qu'il n'y aura aucun compromis possible sur la réforme à l'étude tant que le gouvernement restera ferme sur sa volonté de repousser l'âge légal de la retraite à 62 ans. Hier, il s'en est pris au président, qui recevait en après-midi l'un des joueurs de l'équipe nationale de football, Thierry Henry, pour faire le point sur la débâcle survenue au Mondial.

«Il y a plusieurs millions de personnes dans la rue aujourd'hui, il y a plusieurs millions de chômeurs, on a des problèmes de pouvoir d'achat et lui passe son temps à écouter les états d'âme d'un footballeur qui gagne 15 millions d'euros par année», a dit M. Chérèque.

Le ministre français responsable de la réforme, Eric Woerth, englué dans une embarrassante histoire d'évasion fiscale, maintient que les mesures envisagées sont «justes» et «indispensables» pour rétablir l'équilibre des finances publiques. «Il y a encore à travailler, à concerter, à négocier», a-t-il assuré aux syndicats, qui ne semblent pas vouloir se laisser amadouer.

«S'il faut entrer dans une bataille, nous nous mettrons en ordre de marche; j'ai déjà vu reculer des gouvernements aussi sûrs que celui-là», a prévenu M. Thibault.