On ne saurait mieux résumer le dilemme auquel fait face la classe politique à propos du voile intégral.

Un: le 11 mai dernier, les députés français ont voté à la quasi-unanimité une résolution - de principe - condamnant le port de la burqa au nom des principes d'égalité.

Deux: le projet de loi interdisant le port de la burqa dans l'ensemble de l'espace public a été adopté hier midi dans une séance du Conseil des ministres en vue d'un débat au Parlement en juillet, mais plus personne n'est d'accord.

 

Pour l'immense majorité des Français, le port du voile intégral est synonyme d'asservissement de la femme, ou de prosélytisme religieux. Même les musulmans - environ 5 millions en France, dont semble-t-il deux tiers de pratiquants - y sont globalement hostiles, «car cette pratique n'a rien à voir avec la religion», comme le dit le recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur.

Faut-il pour autant légiférer concernant un phénomène qui ne toucherait au maximum que 2000 femmes dans le pays?

Dans les sondages, 70% des Français se disent favorables à une loi d'interdiction générale: 84% à droite, et même 63% à gauche. Ce qui explique sans doute pourquoi le président Nicolas Sarkozy et certains autres leaders de la droite - toujours inquiets de la remontée du Front national - ont pris la décision de trancher dans le vif et d'opter pour l'interdiction totale.

Contravention et stage

Dans le texte adopté hier par le Conseil des ministres, il est dit que, sauf cas d'espèce, «nul ne peut, dans l'espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage». Sous peine de contravention de 150 ... ou d'obligation à un «stage de citoyenneté».

Jamais le terme de voile intégral ou de burqa n'est explicitement mentionné. Pas davantage lorsqu'il est prévu de condamner à un an de prison et à 15 000 d'amende quiconque impose «par la menace, la violence ou la contrainte» de dissimuler son visage.

Par souci de «pédagogie», le gouvernement prévoit une période de tolérance de six mois avant l'application pure et simple de la loi.

C'est sur ce texte que la belle unanimité du 11 mai a volé en éclats. Si la droite est très majoritairement favorable à cette interdiction, on y trouve des députés, moins sarkozystes que les autres, pour estimer, comme François Goulard, que «cette affaire de burqa est un faux problème qui sert de diversion face aux vrais problèmes économiques».

À gauche, on est proche de la cacophonie. Le député ex-communiste de la région de Lyon, André Gérin, est depuis le début un chaud partisan de l'interdiction totale. Son collègue également ex-communiste de Montreuil, Jean-Pierre Brard, est contre, et prône une simple application de l'interdiction de «signes religieux ostentatoires dans les services publics». Au Parti socialiste, mêmes divisions: le député-maire d'Évry, Manuel Valls, est partisan de la loi, tandis que celui de Lyon, Gérard Collomb, la juge inapplicable et donc absurde.

Policiers méfiants

Parmi les associations et ONG, on avance en ordre dispersé: Amnistie internationale est hostile à la loi, mais Ni putes ni soumises (féministes issues de l'immigration) y est favorable. Comble d'ironie, ce sont les syndicats de police qui se montrent les plus méfiants: «Je veux bien qu'on puisse infliger une contravention pour port de burqa, explique un syndicaliste de Force ouvrière (gauche modérée), mais de quelle manière parviendrons-nous à faire cesser l'infraction? Par l'usage de la force en pleine rue?»

Il est possible que les juges du Conseil constitutionnel mettent tout le monde d'accord - s'ils sont saisis du texte - en déclarant la loi inconstitutionnelle. C'est en tout cas l'avis (consultatif) formulé à deux reprises par le Conseil d'État qui, le 12 mai encore, estimait qu'une interdiction pure et simple «ne pourrait trouver aucun fondement juridique incontestable».