Les habitants du petit village bavarois d'Oberammergau ont respecté le voeu fait par leurs ancêtres pour échapper à la peste en interprétant ce week-end la Passion du Christ, comme ils le font tous les 10 ans depuis 1680.

L'édition 2010 de ce spectacle respecte scrupuleusement la tradition, puisque seuls les 5200 habitants du village peuvent prétendre à un rôle.

Et plus de 2000 y prennent effectivement part, en jouant, en chantant, ou en s'activant dans les coulisses, ce qui n'est pas sans effet sur l'activité à Oberammergau, qui ralentit considérablement pendant presque toute une année.

«La tension monte à chaque minute», reconnaît, à quelques heures de la première samedi, Frederik Mayet, 30 ans, à la fois porte-parole du «théâtre» et l'un des deux interprètes du Christ.

«Cela se sent vraiment partout dans le village, maintenant», ajoute-t-il.

Pour être crédibles en personnages bibliques, dans cette pièce qui dure cinq heures et demie, à raison de cinq représentations hebdomadaires jusqu'au 3 octobre, les hommes se sont laissé pousser la barbe et les cheveux.

Vu de l'extérieur, on pourrait même croire qu'Oberammergau «est une sorte de village pour hippies en ce moment», plaisante M. Mayet.

Les organisateurs espèrent 500 000 spectateurs venus du monde entier, comme il y a dix ans. Ils comptent sur une présence active sur le net et des offres hébergement/spectacle, pour surmonter les effets de la crise, particulièrement sensibles dans les réservations en provenance des Etats-Unis.

Pour assurer l'organisation et les répétitions, qui démarrent intensivement dès novembre, beaucoup prennent sur leurs congés.

La femme qui incarne Marie-Madeleine est en fait hôtesse de l'air pour Lufthansa, alors qu'une des Marie est vendeuse de souvenirs dans l'une des nombreuses boutiques du village.

La Passion, qui s'ouvre avec l'entrée triomphale de Jésus dans Jérusalem, raconte la trahison par Judas, son jugement par les prêtres juifs, sa crucifixion et sa résurrection, se déroule dans une théâtre construit pour l'accueillir.

L'action est entrecoupée d'interventions d'un choeur d'une cinquantaine de chanteurs en robe blanche et des tableaux vivants -des scènes de l'Ancien Testament incarnées par des acteurs immobiles.

Bien qu'il n'y ait qu'une poignée de professionels dans la troupe menée par le metteur en scène Christian Strückl, 48 ans, directeur du Théâtre populaire de Munich, qui est né et a grandi à Oberammergau, la représentation est tout sauf un spectacle d'amateurs.

Les centaines de figurants, l'exubérance des costumes, la présence de chameaux, d'ânes, de chèvres, de moutons et d'un cheval font plus que compenser les rares approximations dans le jeu.

La pièce a considérablement évolué au fil des ans. Des changements parfois été mal acceptés et qui ont valus à Strückl, qui venait de prendre la direction à tout juste 28 ans, des courriers d'insultes, comme par exemple le choix, en 1990, de confier l'un des rôles importants à un protestant, raconte-t-il.

«Aujourd'hui, de nombreux participants ne vont même pas à l'église», ajoute-t-il. Il y a même un musulman dans la distribution. «Au bout du compte, nous sommes tous d'Oberammergau, c'est tout ce qui importe».

Parmi les autres changements notables intervenus avec le temps figurent la possibilité pour les femmes de participer et une image moins noire des Juifs dans cette histoire.

Ce qui n'est pas près de changer, en revanche, c'est qu'il faut être d'Oberammergau, y avoir vécu au moins 20 ans ou être marié à quelqu'un du village depuis au moins 10 ans pour postuler à un rôle.

Et tout le monde n'y trouve pas son compte. «En fait, je voulais faire Judas», reconnaît M. Mayet.

Il ne lui reste qu'à attendre 10 ans. «Le type qui fait Judas avait joué Jésus en 2000, alors il y a de l'espoir», plaisante-t-il.