Lancers de fumigènes et d'oeufs, combats à mains nues entre députés: le parlement ukrainien s'est transformé en vrai champ de bataille, hier, lors de la ratification d'un important accord stratégique avec la Russie. Selon l'opposition ukrainienne tout juste chassée du pouvoir, l'entente qui prolonge de 25 ans la présence de la marine russe sur son territoire menace la souveraineté du pays.

Habitué de la météo parlementaire ukrainienne souvent orageuse, le président de la Rada, Volodymyr Litvine, avait prévu le coup hier. Il s'est présenté au travail accompagné de deux gardes du corps tenant de grands parapluies noirs. 

Même lorsqu'un oeuf lancé par un député de l'opposition pro-occidentale a percé la défense des parapluies et l'a atteint, Litvine est resté impassible.

Entre deux toussotements causés par l'épaisse fumée qui envahissait le parlement, il a fait voter les députés sur l'entente conclue une semaine plus tôt par le nouveau président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, et son homologue russe, Dmitri Medvedev. Au final, le texte a été adopté par une courte majorité de 236 députés sur 450.

Flotte contre gaz au rabais

À l'extérieur du parlement, les partisans des deux camps, séparés par une ceinture policière, ont manifesté vigoureusement pour et contre la ratification de l'entente.

L'accord prévoit le maintien jusqu'en 2042 de la flotte russe de la mer Noire, stationnée dans la presqu'île de Crimée. En échange, l'Ukraine bénéficiera d'un rabais de 30% sur le gaz naturel russe, ressource essentielle pour le fonctionnement de son industrie lourde énergivore.

À Moscou, 30 minutes après les échauffourées à Kiev, la Douma (Chambre basse) a ratifié le même accord à l'unanimité, hormis l'abstention des ultranationalistes, opposés au rabais sur le gaz.

Durant les cinq ans du mandat de l'ex-président ukrainien pro-occidental et nationaliste Viktor Iouchtchenko, la question du gaz a été une source de tension constante entre Kiev et Moscou.

En janvier 2009, faute de paiement, la Russie a fermé les robinets gaziers durant près de trois semaines à l'Ukraine. Une bonne partie de l'Europe a aussi été privée de gaz en pleine vague de froid, 80% du gaz russe qui y est destiné transitant par le territoire ukrainien.

Le président Iouchtchenko, battu au premier tour de la présidentielle en janvier, avait auparavant bien fait comprendre à la Russie qu'il n'entendait pas renouveler le bail de la flotte russe après l'échéance de 2017 et qu'elle ferait mieux de commencer à plier bagage.

Poutine intervient

L'arrivée au pouvoir de Viktor Ianoukovitch, plutôt pro-russe, a changé la donne. S'il a réservé sa première visite officielle à Bruxelles pour rassurer l'Occident, il a néanmoins entrepris de renouer les liens avec l'allié historique russe.

L'opposition ukrainienne n'a toutefois pas dit son dernier mot. L'ex-première ministre et candidate défaite à la dernière présidentielle Ioulia Timochenko a appelé ses partisans à manifester de nouveau le 11 mai.

Son but: «Bloquer le travail du Parlement et obtenir des élections anticipées» qu'elle espère remporter pour annuler le traité.

Le premier ministre russe, Vladimir Poutine, a de son côté qualifié de «hooligans» les députés de l'opposition ukrainiens, se réjouissant que les heurts n'aient pas empêché la ratification du traité. Il a aussi rappelé que lorsque Timochenko était à la tête du gouvernement, la politicienne populiste n'avait jamais clairement pris position contre la présence militaire russe en Crimée.

Selon un récent sondage d'un institut ukrainien, 65% de la population du pays est opposée au maintien de la base navale russe en Crimée.