Cela faisait 18 ans qu'il surveillait le volcan Eyjafjöll, dont il connaît les moindres variations du magma. Mais au moment de l'éruption, il était à Paris... Sans vol de retour, le volcanologue islandais Freysteinn Sigmundsson compte les jours, les yeux rivés sur son ordinateur.

Quand l'équipe de chercheurs qu'il dirige lui a téléphoné dans la nuit de mercredi pour lui apprendre la nouvelle, ce scientifique de 43 ans de l'université d'Islande a d'abord pensé aux habitants qui vivent près du volcan.

Puis, il a ressenti «de la déception» de ne pas être sur place. «Je serai vraiment frustré si je dois rester encore plusieurs jours ici», dit-il depuis le bureau qu'on lui a prêté à l'Institut de physique du globe de Paris.

Là, il passe ses journées à analyser des données, des graphiques et des photos satellites «pour voir ce qu'il se passe dans le volcan et évaluer les scénarios d'évolution».

Mauvaise fortune, bon coeur, il trouve qu'au moins, en France, il est «au calme pour travailler». «Si j'étais en Islande, je serais probablement accaparé par les médias pour des interviews!».

Freysteinn Sigmundsson connaît par coeur l'Eyjafjöll, un volcan de 15 km de diamètre situé dans le sud de l'Islande, qui culmine à 1.600 mètres et dont l'éruption a des conséquences sans précédent sur le trafic aérien en Europe.

Depuis 18 ans, il scrute les mouvement de la croûte terrestre, au millimètre près, et l'évolution du magma dans les volcans de son pays -- qui en compte 30-- pour prévoir les éruptions.

Celle-là, il la voyait venir. Et il la craignait.

Après une éruption majeure en 1821, l'Eyjafjöll s'est remis en activité en 1992. Son équipe remarque alors «quelques signes d'accumulation de magma». En 1994, puis en 1999, l'activité s'intensifie. En décembre 2009, elle est encore plus forte, et s'accompagne d'une série de tremblements de terre.

Le 20 mars dernier, la lave jaillit, à l'est du site de l'actuelle éruption. Là, le sol n'est pas recouvert d'un glacier, donc pas d'explosion et son cortège de cendres propulsées à des milliers de km dans l'atmosphère. «C'était le meilleur endroit possible», explique-t-il.

Mais son équipe s'inquiète. Le flot de magma ne semble pas se tarir. «Notre crainte était que si cette première éruption s'arrêtait, alors que le magma continuait à s'accumuler, il y ait une autre fissure».

«Et nous craignions que cela se produise ici», poursuit-il, en pointant du doigt sur une carte l'endroit de l'actuelle éruption, près du sommet. Là, où le volcan est recouvert d'une couche de glace de 200 à 300 m.

Freysteinn Sigmundsson et son équipe ne s'attendaient pas pour autant à ce que ça se produise si vite. Et le scientifique prend l'avion pour Paris où il doit participer à une réunion des observatoires volcanologiques de France.

Le lendemain, le volcan entre à nouveau en éruption. «Personne ne pouvait imaginer qu'elle entraînerait une telle paralysie du trafic aérien». Quand il s'en rend compte, il est trop tard pour regagner l'Islande.

Désormais, il mise sur les vents pour chasser le nuage de cendres qui l'empêche de prendre son avion.

Parce qu'en ce qui concerne l'éruption, il estime que le plus probable est qu'elle se poursuive encore des semaines, voire des mois, par intermitence. Mais il n'exclut pas, pour autant, «le pire scénario»: que l'éruption entraîne celle d'un «dangereux» volcan voisin, le Katla.

«L'activité explosive, dit-il, serait alors 100 fois supérieure».