Dans cette petite école de Preljubiste, qui semble sortie d'un conte de fées avec ses murs peints en rose et bleu, enfants macédoniens et albanais sont réunis pour apprendre ensemble la langue de l'autre, un phénomène sans équivalent dans le pays.

L'école Fridtjof Nansen, du nom d'un prix Nobel de la paix norvégien, est cachée dans une clairière proche de ce village de 350 âmes, dans le nord-ouest de la Macédoine.

Dans l'entrée, un aquarium avec des dizaines de poissons de couleurs vives est peint sur le mur, avec cette légende qui pourrait servir de devise à l'établissement: «Nous sommes peut-être différentes sortes de poissons, mais dans cette école, nous nageons ensemble».

L'école a ouvert ses portes en 2008, avec le soutien d'une ONG norvégienne, Nansen Dialogue Centre, qui avait mené des expériences similaires en Suisse, en Belgique et en Irlande du nord, ainsi qu'avec l'aide de l'ambassade de Norvège à Skopje et du ministère macédonien de l'Education.

L'objectif primordial de cette expérience est «le dialogue et la réconciliation» entre les communautés, explique le coordinateur du programme, Veton Zekolli.

Car la Macédoine a frisé la guerre civile entre Macédoniens et Albanais en 2001 et les relations entre les deux communautés restent très sensibles.

La question de la langue illustre le phénomène, peu de Macédoniens prenant le soin de parler l'albanais et vice-versa.

Le gouvernement de Skopje a voulu rendre obligatoire, en janvier, l'apprentissage du macédonien pour les enfants albanais, à raison de deux cours par semaine, mais cette décision a suscité des mouvements de boycott en zones albanaises. Les Albanais constituent environ 25% de la population du pays.

Il est vrai que l'apprentissage de l'albanais n'est toujours pas obligatoire pour les Macédoniens.

D'où l'aspect novateur de l'expérience de Preljubiste.

Les enfants, âgés de six à huit ans, sont répartis entre deux classes et leurs instituteurs, bilingues, s'expriment tour à tour en macédonien et en albanais, ou vice versa.

«Après les cours, les enfants jouent ensemble, dessinent, apprennent les mathématiques ou font du bricolage», explique Veton Zekolli.

La classe des plus jeunes réunit dix enfants macédoniens et sept petits albanais, et l'autre 24 enfants, dont douze de chaque communauté.

Le visiteur est accueilli par un sonore «Dobar den» (bonjour) en macédonien, suivi de l'équivalent, «Merdita», en albanais.

«C'est intéressant, nous sommes amis, nous apprenons la langue. Je peux dire des choses en albanais maintenant», dit avec fierté Ace, un petit Macédonien de 7 ans.

«On joue et on apprend», murmure Nisa en albanais, 6 ans, encore trop peu sûre de son macédonien pour tenter de s'exprimer dans la langue de ses petits camarades.

Les enfants viennent des villages proches, macédoniens ou albanais. Certains d'entre eux portent encore les traces du conflit de 2001. Preljubiste a lui-même une population parfaitement mixte, avec 200 Macédoniens, 130 Albanais et 20 Roms.

Quand l'école a ouvert ses portes, «pas un seul enfant albanais ne comprenait le macédonien, pas plus que les enfants macédoniens ne comprenaient l'albanais», se souvient Veton Zekolli.

Mais maintenant, les enfants «se comprennent et tout se passe bien», se félicite l'institutrice, Elizabeta Stamenkovska.

Veton Zekolli reconnaît qu'il y eut des résistances au début et qu'il a fallu plaider auprès des parents pour leur montrer tout l'intérêt de l'école.«Pour que le programme puisse être accepté, nous agissons sur trois niveaux, avec les élèves, les instituteurs et les parents», explique-t-il.

L'expérience de Preljubiste ne devrait pas s'arrêter en aussi bon chemin: un lycée bilingue pourrrait s'ouvrir non loin de là dès septembre prochain.