Les «grandes écoles», fleurons du réseau universitaire français, se voient attaquées de toutes parts en raison de la résistance qu'elles opposent aux efforts du gouvernement pour accroître la mixité sociale dans leurs classes.

La polémique dure depuis que les dirigeants de la Conférence des grandes écoles (CGE) ont fait connaître leur opposition à l'idée d'introduire des quotas pour les obliger à recevoir plus d'étudiants boursiers, soutenus par l'État en raison de leurs revenus familiaux modestes.

L'organisation est plus précisément prise à partie pour avoir souligné que de tels quotas amèneraient «inévitablement une baisse du niveau moyen».

Le ministre de l'Éducation nationale, Luc Chatel, a vivement réagi en relevant qu'il était «profondément choquant» de voir la CGE associer ainsi l'ouverture sociale et la détérioration des exigences scolaires.

Yazid Sebag, le commissaire à la Diversité et à l'Égalité des chances, qui a fait de la réforme de la politique de sélection des grandes écoles un de ses chevaux de bataille, a dénoncé ce qu'il considère comme une position «scandaleuse».

«Réactionnaire»

Dans une lettre ouverte au quotidien Le Monde, l'industriel François Pinault y est allé cette semaine à son tour d'une sortie virulente en qualifiant la CGE d'organisation «réactionnaire». Il s'est dit estomaqué par le fait que ses dirigeants n'entendent pas «le grondement qui vient des fondements de la société».

La polémique, aussi vigoureuse soit-elle, part d'une fausse prémisse puisque le gouvernement n'a jamais dit qu'il souhaitait imposer des quotas. La ministre de l'Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, a plutôt dit espérer que le nombre d'étudiants boursiers des grandes écoles atteigne rapidement 30%, sans évoquer de contrainte ferme. Dans certains établissements, comme Polytechnique, il est plutôt de l'ordre de 10%.

La cible du gouvernement a déjà été atteinte dans les classes préparatoires, où s'échinent pendant deux ans les étudiants qui souhaitent tenter les examens d'admission des grandes écoles plutôt que de se diriger vers les universités «normales».

L'enjeu est de taille puisque certains de ces établissements sont si réputés que le simple fait d'avoir un de leurs diplômes constitue une voie presque assurée vers le succès professionnel et les responsabilités de haut niveau.

Un sénateur socialiste avait sonné l'alarme sur le manque de mixité sociale dans les grandes écoles il y a quelques années en relevant que la proportion d'étudiants issus des «milieux populaires» avait diminué des deux tiers en 40 ans.

Ton conciliant

Pour corriger la situation, certains ténors du gouvernement, comme la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse, préconisent la révision des examens d'entrée et la réduction des frais de concours.

«Il faudrait réfléchir à des épreuves qui valoriseraient l'intensité du parcours du jeune, son mérite réel. Le parcours accompli par un jeune qui n'a pu être aidé par ses parents, qui a été scolarisé en zone défavorisée, est d'une intensité plus grande», note la politicienne, préoccupée par l'importance donnée aux tests écrits.

M. Sebag souligne, dans la même veine, que les examens de connaissances générales et de langues vivantes favorisent les candidats des milieux plus aisés.

Tandis que le gouvernement poursuit sa réflexion, la CGE a promis qu'elle se pencherait sur les «épreuves supposées socialement sélectives» pour voir si des modifications s'imposent. Certains établissements s'étaient déjà engagés dans cette voie avant même la polémique, par exemple en introduisant des entrevues dans le processus de sélection.

Le ton conciliant de l'organisation reflète le fait que seules quelques voix se sont élevées pour dénoncer les intentions gouvernementales et s'inquiéter d'un possible nivellement par le bas.

Prenant le contre-pied de la majorité, le professeur de lettres Jean-Paul Brighelli a qualifié hier la démarche gouvernementale de «sottise». La priorité, juge-t-il, est de renforcer l'enseignement dans les milieux défavorisés, non pas de réviser les exigences des concours.

«Si les enfants les plus démunis, culturellement parlant, ont besoin de quelque chose, c'est d'une pédagogie qui leur transmette des connaissances, inlassablement, et, ce faisant, leur donne de l'ambition. Et on ne donne d'ambition qu'en montant la barre, pas en décrétant... que le zéro est hors la loi», relève M. Brighelli.