L'Union européenne inaugure le 1er janvier une direction bicéphale d'un nouveau genre, incarnée par son président permanent Herman Van Rompuy et une présidence tournante espagnole, que tous espèrent pacifique mais qui a déjà commencé par quelques frictions.

A ce binôme créé par le traité de Lisbonne, il convient d'ajouter, pour compliquer encore la représentation de l'Europe, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, bien décidé à ne pas se laisser voler la vedette, et la nouvelle responsable de la diplomatie de l'UE, Catherine Ashton.

«En réalité, le nouveau système n'est pas moins compliqué ni moins stratifié que le précédent», soulignent dans un rapport deux experts du European Policy Center, Antonio Missiroli et Janis Emmanouilidis.

«Il ne va pas être facile de le faire fonctionner», soulignent-ils. Et la réponse à la question posée jadis par Henry Kissinger sur le «numéro de téléphone» à appeler pour contacter l'Europe reste toujours aussi évasive.

Le traité maintient en effet un système de présidence semestrielle tournante par pays, revenant à l'Espagne en janvier, pour tous les domaines autres que les réunions de chefs d'Etat et de gouvernement - du ressort de M. Van Rompuy - et les Affaires étrangères - sous la responsabilité de Mme Ashton.

«La grande faiblesse du traité de Lisbonne c'est le maintien de la présidence tournante de l'UE», souligne le chef de file des écologistes au Parlement européen, Daniel Cohn-Bendit.

L'ancien Premier ministre belge, qui entre le 1er janvier véritablement en fonction à la tête du Conseil européen après un mois au cours duquel il s'est tenu volontairement en retrait, a dû ainsi trouver un terrain d'entente avec l'Espagne.

Le chef du gouvernement espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero, a obtenu de pouvoir accueillir sur son sol plusieurs sommets de prestige, entre l'UE et les Etats-Unis de Barack Obama ou encore les pays d'Amérique latine.

«Nous avons passé un gentlemen's agreement: M. Van Rompuy présidera les réunions, mais M. Zapatero sera à ses côtés et aura un rôle de premier plan», a souligné le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos.

M. Moratinos promet que son pays jouera pleinement le jeu du traité de Lisbonne. «Il n'y aura pas de concurrence entre la présidence espagnole, le président du Conseil et la Haute représentante, mais de la complémentarité», assure-t-il.

Pour autant, alors que les Affaires étrangères échappent en principe à la présidence tournante, il a offert son aide à Mme Ashton dans des domaines chers à l'Espagne: le Proche-Orient, l'Amérique latine, l'Afrique du Nord et la Méditerranée.

De même qui sera vraiment à la baguette sur les dossiers économiques? L'Espagne, appelée à présider les réunions régulières des ministres des Finances? Ou M. Van Rompuy qui a déjà imprimé sa marque en convoquant en février, probablement le 11, un sommet des dirigeants de l'UE sur la relance de la croissance et la préservation du modèle social européen?

En prenant ainsi les devants, le président «stable» de l'Europe cherche aussi à ne pas se faire déborder sur son autre flanc par M. Barroso, sorti grand vainqueur du récent jeu de chaises musicales européen après avoir soutenu avec force tant la nomination de Mme Ashton - déjà membre de son équipe et qu'il aurait lui-même suggérée à Londres - que celle de M. Van Rompuy.

Deux personnalités qui, peu connues sur la scène européenne, ne risquent pas dans l'immédiat de lui faire trop d'ombre.

M. Barroso entamera début février un nouveau mandat de 5 ans avec, lui aussi, comme priorité, la dynamisation de l'économie européenne d'ici 2020, au moment même où se tiendra le premier sommet de l'ère Van Rompuy.