Une semaine après les pannes qui ont paralysé le trafic dans le tunnel sous la Manche, la guerre est déclarée entre la compagnie ferroviaire Eurostar et Eurotunnel, exploitant de l'ouvrage, qui s'accusent mutuellement de négligence et de désinformation.

Dans la nuit du 18 au 19 décembre, cinq Eurostar ont été bloqués dans le tunnel en raison d'une panne liée aux intempéries. Plus de 2000 personnes, coincées sans eau, ni nourriture, ni information, ont mis jusqu'à seize heures pour faire le voyage, ce qui a suscité la polémique.

Paralysé pendant trois jours, le trafic transmanche n'a repris que lentement.

Depuis, la querelle s'envenime entre les deux sociétés qui n'ont pas le même avis sur les causes de la panne. Et Eurostar reproche à Eurotunnel de n'avoir pas réagi «comme il convenait».

La première salve a été tirée dès le week-end par Eurostar: la compagnie a fait valoir qu'Eurotunnel, qui est à la fois gestionnaire du tunnel et exploitant de navettes de fret, était responsable de ce qui se passe dans le tunnel.

Et de souligner qu'Eurostar n'était pas le seul à avoir eu des problèmes cette nuit-là: une navette d'Eurotunnel transportant des voitures serait tombée en panne, de même qu'un train de marchandises de la compagnie allemande Deutsche Bahn... «Faux», rétorque l'exploitant, qui parle de «désinformation».

La riposte est venue le jour de Noël: Eurotunnel a accusé le transporteur de ne pas avoir respecté toutes les procédures de secours et de ne pas avoir relayé les informations aux passagers.

«Nous avons le sentiment qu'ils auraient plutôt dû nous remercier» de l'aide apportée quand les trains étaient bloqués, explique un porte-parole d'Eurotunnel.

«Eurotunnel devrait laisser les experts rendre leurs conclusions», a rétorqué en pleine nuit dans un communiqué la direction d'Eurostar.

Lesdits experts, le vice-président de Transport for London (TfL, régie des transports londoniens) Christopher Garnett et l'ingénieur français Claude Gressier, ont été chargés d'une «enquête indépendante» lundi par Eurostar. Leur mission a été entérinée par la Commission intergouvernementale au tunnel sous la Manche et les gouvernements français et britannique.

Mais ils sont contestés: «Cette commission (d'enquête) indépendante est composée d'un ancien de la SNCF, maison mère d'Eurostar (et compagnie française de chemins de fer), et d'un type qui s'est fait virer d'Eurotunnel», souligne un familier du dossier.

Claude Gressier a travaillé à la SNCF de 1994 à 1998. Quant à M. Garnett, «il n'est pas parti en bons termes avec Eurotunnel», confirme l'exploitant de l'ouvrage.

Les experts ont plusieurs différends à traiter. Pour Eurostar, c'est au gérant de l'infrastructure d'assurer la communication lorsqu'un train est coincé dans le tunnel. «La communication à l'intérieur des trains, en aucun cas, ne dépend de nous», répond Eurotunnel, qui affirme avoir été «bien entendu» en contact permanent avec les personnels des trains.

Eurostar rappelle également que l'évacuation des passagers est du ressort d'Eurotunnel. Ce dernier ne dit pas le contraire, mais reproche à Eurostar des manquements à la procédure: les passagers ont quitté les trains avec leurs bagages et leurs cadeaux de Noël, ce qui a compliqué et fortement retardé la manoeuvre.

Les relations étaient déjà tendues entre eux: Eurotunnel a publiquement regretté la suppression de trains pour cause de crise économique, plaidant pour l'arrivée de compagnies concurrentes pour mieux rentabiliser son ouvrage.