Quatre ans après l'affaire des caricatures de Mahomet, l'Organisation de la conférence islamique (OCI) reprend sa campagne contre la «diffamation des religions», malgré l'opposition des pays occidentaux à l'interdiction du blasphème, contraire au principe de la liberté d'expression.

Les pays musulmans membres des Nations unies avaient déjà essayé de faire adopter cette notion, au nom de la lutte contre l'islamophobie, lors de la conférence des Nations unies sur le racisme dite de «Durban II», qui s'était tenue en avril à Genève. Les Etats-Unis, mais aussi la France et l'Union européenne, par la voix de l'ambassadeur de France à l'ONU Jean-François Mattéi, avaient dit non.

«Il est fondamental de faire la distinction entre la critique des religions ou des convictions et l'incitation à la haine religieuse. Seule cette dernière (...) devrait être interdite», avait estimé M. Mattéi. «On ne réduira pas les tensions en empêchant des idées sur les religions et les convictions.»

Cette fois, l'OCI, qui compte 56 pays membres, a envoyé l'Algérie et le Pakistan en première ligne pour faire pression sur le comité spécial du Conseil des droits de l'Homme chargé d'élaborer des normes complémentaires contre la discrimination, selon des documents obtenus par l'Associated Press. Si le comité reconnaît la nécessité d'un traité pour protéger les religions, ce sera le premier pas vers l'élaboration d'un protocole international qui finira par être soumis à l'Assemblé générale de l'ONU.

Le processus pourrait prendre une dizaine d'années, voire plus, mais des spécialistes lui donnent de réelles chances d'aboutir si les pays musulmans qui le soutiennent persévèrent. Et le débat menace de raviver le ressentiment de musulmans contre les pays occidentaux.

En 2005, la publication de 12 caricatures de Mahomet dans un journal danois, alors que l'islam interdit toute représentation de son prophète, avait déclenché des manifestations violentes dans une partie du monde musulman ainsi que des attaques contre des ambassades occidentales, notamment au Liban, en Iran et en Indonésie.

Plusieurs journaux européens avaient alors reproduit les caricatures au nom de la démocratie.

Les Etats-Unis ont de leur côté fait savoir qu'ils refuseraient tout traité international contraire au premier amendement de leur Constitution garantissant la liberté d'expression, mais ils semblent inquiets. Ils ont ainsi dépêché un haut diplomate à Genève le mois dernier pour faire avorter le projet de l'OCI.

Le Pakistan, lui, invoque une augmentation des insultes à la religion. L'OCI «juge que l'attaque des croyances sacrées et la diffamation des religions, des symboles religieux, des personnalités et des dogmes contrarie la jouissance des droits de l'Homme des adeptes de ces religions», écrit-il dans une lettre envoyée le mois dernier au comité spécial des normes complémentaires.

Il propose dans un autre document d'interdire dans le traité contre le racisme toute «insulte à ce qui est tenu pour sacré par la religion». La définition du caractère injurieux appartiendrait probablement à la justice de chaque pays signataire, a précisé Marghoob Saleem Butt, un diplomate pakistanais en poste à l'ONU à Genève. «Il doit y avoir un équilibre entre la liberté d'expression et le respect des autres», a-t-il expliqué. «Pour nous, la limite est franchie quand on prend le symbole de toute une religion pour le représenter en terroriste», a-t-il ajouté, faisant référence à l'une des caricatures de Mahomet.

D'une façon générale, le délit de blasphème est rarement compatible avec le respect des droits de l'Homme, souligne Felice Gaer, membre de la Commission américaine pour la liberté religieuse dans le monde.

En Egypte, la législation contre le blasphème a servi contre les dissidents, rappelle Moataz el-Fegiery, responsable de l'Institut d'étude des droits de l'Homme au Caire. En février 2007 par exemple, un blogueur, Abdel Karim Nabil, a été condamné à quatre ans de prison pour insulte à l'islam et au président Hosni Moubarak. C'est utile aussi pour lutter contre les interprétations réformatrices des textes religieux.

Pour Hans Dahlgren, ambassadeur de Suède à l'ONU et dont le pays préside l'Union européenne ce semestre, «les religions en tant que telles ne possèdent pas de droits, ce sont les peuples qui possèdent des droits». L'UE, ajoute-t-il, s'opposera à toute tentative de limiter la liberté d'expression. Un traité international contre «la diffamation des religions» nuirait en outre aux efforts récents des pays musulmans et occidentaux pour trouver un terrain d'accord sur les droits de l'Homme.

Mais l'ambassadeur algérien à l'ONU Idriss Jazairy, qui préside le comité spécial pour les normes complémentaires, soutient que rejeter la proposition de l'OCI renforcerait les extrémistes dans le monde arabe. «Si nous continuons de nous heurter à ce mur de verre et qu'on dit qu'on ne peut rien contre l'islamophobie -alors qu'on peut faire quelque chose contre l'anti-sémitisme-, c'est la porte ouverte au recrutement de kamikazes», assure-t-il.