«Enfin du sexe!» ou «Le plaisir sans frontières», titrent les journaux ouest-allemands à la vue des Allemands de l'Est qui, après la chute du Mur de Berlin en 1989, se précipitent dans... les sex-shops de l'Ouest.

«C'était une curiosité d'une grande naïveté» se souvient Kurt Starke, 70 ans, sociologue et sexologue de Leipzig (est). «On visitait les sex-shops en couple, parfois la grand-mère était là aussi, tenant un enfant par le bras... On voulait découvrir tout ce que l'Ouest avait à offrir».

Car sous le régime communiste autoritaire de la République démocratique allemande (RDA) la pornographie était interdite, et la prostitution quasiment inexistante. «Le commerce du sexe en Allemagne de l'Ouest était perçu par le régime comme de la décadence bourgeoise», rappelle M. Starke.

Cependant «les gens étaient avides de pornographie, on aurait pu en vendre sans fin», estime Wolfgang Förster, 55 ans, ancien vendeur au marché noir de vidéos porno avant la chute du Mur qui a ensuite fondé l'un des premiers clubs de striptease à Dresde (est).

Flairant le filon, des entrepreneurs de l'Ouest fondent sur le nouveau marché dès 1990. Des caravanes de prostituées s'installent bientôt aux abords des villes de l'État déliquescent, les premiers sex-shops y ouvrent leurs portes dans un flou juridique total.

«Les filles aimaient bien les gars de l'Est parce qu'ils étaient doux et timides, elles se plaignaient en revanche de ceux de l'Ouest qui se croyaient tout permis avec leur argent», se souvient M. Förster, dont le club à Dresde, fondé en 1990, était voisin de l'une de ces maisons closes ambulantes.

«Quand des licences sont réapparues beaucoup de tripots et de bordels ont fermé et les aventuriers ont disparu. C'était souvent des amateurs qui n'avaient pas réussi à l'Ouest», juge le Dresdois d'origine.

Les grandes chaînes de l'industrie du sexe, le groupe ouest-allemand Beate Uhse en tête, ont rapidement pris le relais. Mais une fois la curiosité assouvie pour les vibromasseurs, godemichés et dessous affriolants, la demande est retombée à l'Est.

Faute d'argent aussi: la réunification s'est avérée plus difficile que prévu et le chômage dépasse à présent 13% à l'Est, près du double de ce qu'il est à l'Ouest.

Aujourd'hui Beate Uhse dit réaliser le gros de son chiffre d'affaires allemand dans les grands centres urbains de l'Ouest, où les porte-monnaie sont mieux garnis.

Et dans les nouveaux Länder est apparue la nostalgie de «l'amour autrement» avec une sexualité fondée sur le couple, et du naturisme de masse popularisé par la «culture du corps libre» (FKK) en vogue dans les années 70 et 80.

Dépourvus de stéréotypes, ignorant le culte de la performance, «les hommes et les femmes devaient faire appel à leur propre imagination. Cela rendait le sexe insouciant», estime l'écrivaine berlinoise Jutta Resch-Treuwerth, 67 ans, qui a tenu le courrier du coeur d'un magazine pour jeunes de RDÀ pendant une vingtaine d'années.

«Dans cet État rigide qui voulait tout avoir sous son contrôle, les citoyens étaient très émancipés concernant leur vie sexuelle, notamment les femmes» selon le professeur Starke.

Large accès aux études supérieures et au travail, pilule contraceptive et avortement gratuits, politique familiale généreuse: plusieurs signes parlent en faveur d'une vision plus libérale des femmes en Allemagne de l'Est qu'en République fédérale à la même période.

Et au lit les femmes prenaient plus souvent l'initiative et atteignaient plus fréquemment un orgasme que leurs semblables à l'Ouest, selon des sondages de l'époque.

«La femme de l'Est ne disserte pas sur l'orgasme pendant des heures: elle se laisse simplement aller», lance M. Starke, goguenard.