Vingt ans après la chute du Mur de Berlin, la France et la Grande-Bretagne ont décidé de jouer la transparence en ouvrant leurs archives diplomatiques sur l'époque, qui soulignent les craintes françaises et l'«épouvante» britannique face à la réunification.

Aux inquiétudes de 1989, Paris veut opposer aujourd'hui l'image d'une France sûre de son partenariat stratégique avec une Allemagne ancrée dans l'Union européenne. «En 1989, nous avions donné l'impression d'hésiter devant ce rendez-vous de l'Histoire; faisons en sorte de le réussir vingt ans plus tard», lançait récemment Pierre Lellouche, secrétaire d'État aux Affaires européennes, avant de décider, comme Londres, de la déclassification d'archives de 1989 et 1990.

On y perçoit François Mitterrand et Margaret Thatcher imprégnés par la Guerre froide et le traumatisme de la Deuxième guerre mondiale.

Chez les Français, s'exprime une «inquiétude évidente vis-à-vis d'une Allemagne trop puissante mais aussi vis-à-vis des réactions éventuelles de l'Union soviétique», constate l'historien Maurice Vaïsse, qui a supervisé la sélection de certaines archives.

Margaret Thatcher est quant à elle «épouvantée», décrit ce professeur à l'Institut d'études politiques de Paris.

«La réunification de l'Allemagne n'est pas dans l'intérêt de la Grande-Bretagne et de l'Europe de l'Ouest», déclarait ainsi le premier ministre britannique au chef de l'État soviétique Mikhaïl Gorbatchev à Moscou, dès septembre 1989, selon des transcriptions de cette entrevue, clandestinement sorties du Kremlin et contenues dans les archives britanniques.

«Nous ne voulons pas d'une Allemagne unifiée», ajoutait-elle. «Cela entraînerait un changement des frontières de l'Europe d'après-guerre».

Côté français, le ton est à peine plus conciliant. «La France ne veut en aucun cas d'une réunification allemande même si elle comprend qu'au final ce sera inéluctable», déclarait en décembre 1989 Jacques Attali, conseiller personnel du président français, lors d'une rencontre à Kiev avec un responsable soviétique, toujours selon des documents britanniques.

Plus de deux mois après la chute du Mur, le 20 janvier 1990, le président français reçoit Margaret Thatcher à Paris. Il lui fait part de son inquiétude face à une Allemagne unifiée qui pourrait «gagner encore plus de terrain qu'Hitler ne l'a fait», selon le mémo d'un conseiller de Mme Thatcher, Charles Powell.

En mars 1990, lors d'un dîner chez l'ambassadeur de France en Grande-Bretagne, Mme Thatcher s'en prend vivement au chancelier Helmut Kohl. «Kohl est capable de tout. C'est devenu un autre homme, il ne se connaît plus, il se voit le maître et commence à agir comme tel», s'alarme-t-elle, citée par l'ambassadeur.

«La France et la Grande-Bretagne devraient se rapprocher aujourd'hui face au danger allemand», dit-elle, selon un télégramme français. Seule la Russie peut, selon elle, constituer «un contrepoids plus puissant à l'Allemagne»: «une Russie devenue réellement démocratique et réellement convertie à l'économie de marché».

Plusieurs analyses de diplomates montrent que Paris n'a compris que tardivement l'imminence de la réunification, vue comme une dernière extrémité. En octobre 1989, une analyse de la «question allemande» réalisée par le Quai d'Orsay, indique que celle-ci «ne paraît pas en ce moment réaliste».

En décembre 1989, après la chute du Mur, le président français François Mitterrand se rend en RDA. «À ce moment-là encore on pensait que la RDÀ resterait un État indépendant», explique Maurice Vaïsse, mais cela «ne signifie pas que Mitterrand était contre la réunification», juge-t-il.

La position française sur le sujet avait été fixée dès 1959 par le général de Gaulle selon qui la réunification était le «destin normal du peuple allemand», rappelle l'historien.