Barbe brune et cheveux longs, il traverse la foule de ses fidèles à Petropavlovka, village de la région sibérienne de Krasnoïarsk où «Vissarion le Professeur», réincarnation auto-proclamée de Jésus, a installé la nouvelle Terre Sainte.

Les sourires béats sont sur toutes les lèvres, les yeux des croyants, habillés de tuniques blanches, pétillent, car leur sauveur, un ancien agent de la circulation qui s'est découvert fils de Dieu il y a 20 ans, s'apprête à s'adresser à eux. «C'est l'amour sur Terre! Le sentez-vous?», lance un homme devant la foule de milliers de pèlerins venus en ce 18 août, une date célébrée chaque année en souvenir du premier sermon de Vissarion, de son vrai nom Sergueï Torop.

Les 4000 fidèles, qui disent vivre en communion avec la nature en rejetant notamment la viande, l'alcool et le tabac, se voient comme une nouvelle arche de Noé, car ils sont convaincus que l'Homme est en train de détruire la planète et que Petropavlovka, le centre de la Terre, sera sauvée du désastre.

«Je sens que l'énergie ici sera suffisante pour sauver la planète du cataclysme», explique Irina Besseda, 38 ans.

Vissarion, qui dit avoir découvert être Jésus en sentant «quelque chose de violent jaillir» en lui en 1989, est moins optimiste. Jugeant la catastrophe inévitable, son modeste objectif est d'éviter l'extinction de l'espèce humaine.

«L'Homme s'approche de plus en plus de sa destruction. Ce sera bien sûr désagréable et tragique, cela apportera beaucoup de douleur, mais cela est inéluctable», estime Vissarion.

Il a changé le calendrier en le faisant commencer par sa date de naissance, le 14 janvier 1961 qui est bien sûr célébré en lieu et place de Noël. Ses fidèles vivent en l'an 49.

«Nous devons créer quelque chose qui aidera à sauver l'humanité (...) une arche de Noé», poursuit le gourou, estimant que si la face du monde changera, Petropavlovka survivra sans grand changement, à l'exception du climat qui deviendra plus clément.

Son Église du Dernier Testament, qui se veut une synthèse des religions monothéistes et du Bouddhisme, ne recrute d'ailleurs pas que des fidèles en Russie, certains étant venus depuis le Bélarus, Cuba, l'Italie, l'Allemagne ou encore la Bulgarie.

En Europe «il y a tout, des cocktails, des concerts, des gens intéressants (...) c'était sympa, mais ce n'était pas ce que cherchait mon âme», explique Lineta Maskalinaite, une Lituanienne de 43 ans, qui a quitté il y a deux ans son travail auprès de l'Union européenne, à Bruxelles.

Les croyants semblent bien installés, les maisons en bois y sont neuves et des panneaux solaires approvisionnent les foyers en électricité. Mais cette présentation idyllique laisse dubitatif l'expert russe en cultes Alexandre Dvorkine.

«Ils semblent heureux et gais, tout comme les gens filmés en 1937» durant les purges staliniennes, ironise-t-il, dénonçant l'emprise total de Vissarion sur ses fidèles.

Si aucun problème notable n'a été rapporté ces derniers temps, durant les années 1990, lorsque le culte refusait la médecine moderne malgré le climat extrêmement rude de la Sibérie, les décès et les suicides étaient nombreux.

«J'étais une romantique (...) mais au début il y avait beaucoup de morts, beaucoup de mes amis», se souvient Maria Kaprinskaïa, une ancienne adepte reconvertie dans le journalisme à Moscou.

«Sa tentative de devenir Dieu a échoué, ce n'est qu'un seigneur féodal avec ses serfs», estime-t-elle.

Depuis, Vissarion a abandonné certaines restrictions, notamment concernant la médecine, explique Rachid Rafikov, un responsable gouvernemental de Krasnoïarsk.

«Vivre de noix, de baies et de champignons n'est pas possible», note-il, «le culte a un vrai problème pour se nourrir avec ses seuls potagers».