À priori, on pourrait comprendre que les Irlandais aient l'impression d'avoir été ramenés en arrière par une mystérieuse faille spatio-temporelle.

À peine un an après que la population du petit pays eut opposé une fin de non-recevoir au traité de Lisbonne, censé réviser substantiellement les structures décisionnelles de l'Union européenne, le gouvernement annonce qu'il y aura un nouveau référendum en octobre... sur le traité de Lisbonne.

 

«C'est beau, la démocratie, non? On vote non à une question et ils nous reposent la question jusqu'à ce qu'on dise oui», s'énerve Anthony O'Rourke, un chauffeur de taxi de Dublin.

«Qu'ils votent oui ou non, au moins, les gens sauront pourquoi ils votent, cette fois-ci», tempère Rose Murtheh, qui tient un étal de fruits et légumes sur un trottoir du centre-ville. «Je ne sais pas si je vais voter oui ou non. Il me semble que tout ça ne change pas grand-chose pour moi», ajoute la femme de 60 ans.

«Il y a beaucoup d'apathie à ce sujet. La dernière fois, les gens ne savaient trop sur quoi ils votaient, et personne n'a vraiment tenté de le savoir,» note Steve Browne, un vendeur de 26 ans.

Bien que le référendum à venir suscite pour l'heure moins d'émoi que les spectacles donnés par U2 ce week-end, nombre d'Irlandais sont convaincus qu'il s'agit d'un vote de première importance.

C'est le cas notamment de Richard Greene, porte-parole de l'organisation Coir (Justice), qui avait mené une campagne d'affichage remarquée contre le traité en 2008.

«Je suis indigné de ce nouveau référendum... Les gens ont parlé l'année dernière et les élus devraient leur obéir», indique M. Greene, qui craint l'impact du traité sur la souveraineté irlandaise.

«Notre Constitution n'existera plus. Nous serons englobés dans un super-État dirigé par la France et l'Allemagne», dit-il.

Dans les faits, le traité de Lisbonne prévoit la simplification des mécanismes décisionnels européens. Il clarifie les champs de compétence des pays membres et des institutions centrales et prévoit l'introduction d'une charte des droits fondamentaux.

Des «garanties» formelles

En Irlande, les opposants au projet ont déclaré durant la première campagne que ces réformes pourraient empêcher le gouvernement irlandais de fixer de son propre chef les taux de taxation, l'obliger à participer à des guerres lointaines ou encore permettre l'avortement, un sujet très délicat dans un pays profondément imprégné de catholicisme.

Le gouvernement du premier ministre Brian Cowen, dans le but de rassurer la population, a obtenu des autorités européennes des «garanties» formelles qu'il espère suffisantes pour faire taire les critiques de 2008. M. Cowen mise aussi sur les difficultés économiques du pays, en pleine récession, pour renforcer ses liens avec l'Union européenne.

L'an dernier, la victoire du non avait perturbé la feuille de route des autres chefs d'État européens, qui avaient choisi de faire ratifier le traité par voie parlementaire, un exercice beaucoup moins risqué. Un nouveau rejet pourrait signifier la mort du traité puisque d'autres pays, comme la Pologne et la République tchèque, ont d'importantes réserves et pourraient évoquer le résultat d'octobre pour faire marche arrière.