Édouard Stern a-t-il été tué de sang-froid par une maîtresse calculatrice qui lui en voulait d'être revenu sur sa décision de lui verser une importante somme d'argent? Ou était-il un homme sadique et pervers qui s'est joué d'une femme fragile, la poussant à bout jusqu'à ce qu'elle décide d'en finir avec son bourreau en le criblant de balles?

L'interrogation est au coeur du procès qui s'est ouvert mercredi à la cour d'assises de Genève. Il s'agira de déterminer si Cécile Brossard est coupable d'un «crime passionnel», punissable de 10 ans de prison, ou de meurtre prémédité, ce qui peut entraîner une peine deux fois plus importante.

«Je demande pardon, mais demander pardon est une offense. On ne peut pas demander pardon pour une chose pareille», a déclaré l'accusée française de 40 ans lors de la première journée d'audience, devant l'ex-femme de la victime et ses trois enfants.

«Je ne veux surtout pas accabler ni salir la mémoire d'Édouard. C'est vrai qu'il était le plus raffiné, le plus intelligent, le plus merveilleux des hommes», a-t-elle lancé, très amaigrie après quatre ans de détention préventive.

«Madame, il faut choisir. Si c'était un homme merveilleux, il ne fallait pas l'abattre», a rétorqué l'avocat de la famille, Marc Bonnant, résumant sèchement le côté paradoxal de l'affaire et de la relation qui a présumément précipité la fin du banquier.

Membre du gotha financier, proche de personnalités puissantes comme l'actuel président Nicolas Sarkozy, Édouard Stern faisait partie des 50 personnes les plus riches de France lorsqu'on l'a trouvé dans son appartement genevois, en mars 2005, gisant dans son sang et vêtu d'un costume en latex couleur chair associé aux rituels sadomasochistes.

Il avait reçu deux balles au thorax et deux à la tête.

Rapidement, les hypothèses ont fusé: règlement de comptes découlant des activités du banquier en Europe de l'Est? Réponse à une plainte portée par Édouard Stern contre les administrateurs d'un groupe chimique français par lesquels il estimait avoir été lésé?

L'homme, âgé de 50 ans au moment de sa mort, se disait menacé. Il avait obtenu un permis de port d'arme ainsi qu'une formation fournie par le ministère de l'Intérieur français.

Les enquêteurs suisses ont aussi poursuivi une autre piste, plus banale, inspirée du fait que l'assassin avait fermé la porte à clé en quittant l'appartement.

«Il y avait sept clés en circulation. C'est en les retrouvant qu'ils sont arrivés à Cécile Brossard», souligne Alain Jourdan, journaliste à la Tribune de Genève et auteur d'un livre sur l'affaire.

Après le meurtre, paniquée, Cécile Brossard s'enfuit en Australie peu après le meurtre. Elle revient quelques semaines plus tard et se livre aux autorités.

Le couple, qui s'était formé quatre ans plus tôt à la suite d'une soirée chez un marchand d'art parisien, s'était disputé durant le mois de février pour une question d'argent.

Cécile Brossard, qui fait de la peinture et de la sculpture, est soutenue financièrement depuis plusieurs années par son mari, un naturopathe, à qui elle demeure liée. Elle veut le quitter, mais demande à son amant de lui donner les moyens de le faire en versant pour elle un million de dollars dans un compte en banque. Il s'agit aussi, dit-elle, d'un «gage d'amour», qu'elle promet, là encore paradoxalement, de rendre.

Le banquier accepte, mais se ravise quelques jours plus tard et fait mettre le compte sous séquestre. Jusqu'à la scène ultime, à l'appartement genevois, où Cécile Brossard coupe court à leurs ébats sexuels réconciliateurs dans un élan de rage après qu'il lui eut signifié qu'un million, «c'était cher payé pour une pute».

Devant le tribunal, un psychiatre expert décrit l'accusée comme une personnalité limite et déclare que la phrase a précipité son «crime d'amour».

L'avocat de la famille martèle que Cécile Brossard n'a pas agi sur un coup de tête, mais bien de manière calculée. Il relève notamment qu'elle a pris le temps, dans sa fuite en Australie, d'appeler son avocat pour tenter de récupérer le million, toujours gelé quatre ans plus tard.

La défense s'évertue de son côté à démontrer qu'Édouard Stern persécutait son amante et la traquait sans relâche, multipliant les appels et les SMS dès qu'elle s'avisait de le quitter.

Le marchand d'art qui les avait présentés l'un à l'autre a indiqué hier au tribunal qu'il avait tenté à plusieurs reprises de la convaincre de mettre fin à cette relation et de changer de numéro de téléphone pour se soustraire à la «névrose de possession» du banquier.

Une autre amie de l'accusée a déclaré qu'elle avait accepté de se déguiser en écolière pour une soirée sexuelle avec Édouard Stern, à qui Cécile Brossard voulait faire plaisir.

Leur relation, a expliqué la femme d'origine russe, était constamment changeante. «C'était trop passionnel. Il n'y avait aucune logique», a-t-elle souligné.

Alain Jourdan, qui a rencontré plusieurs proches des deux protagonistes du drame, croit qu'ils se sont enfoncés peu à peu dans une «relation destructrice» devenue fatale.

«C'est l'histoire du million qui a fait péter un câble (à Cécile Brossard). Mais ça ne se résumait pas à ça... La cupidité s'imbriquait avec la passion», dit-il.

Les curieux affluent

L'affaire Stern passionne les résidants de la richissime ville suisse, où tout un chacun a son idée sur le sujet.

Chaque jour, des dizaines de badauds font la queue bien avant l'heure devant les portes de la cour d'assises, au coeur de la vieille ville, pour pouvoir assister au déballage des dessous de l'affaire.

Dans la file, une vieille dame épiloguait, jeudi, sur Cécile Brossard comme s'il s'agissait de sa fille, assurant qu'elle «cherchait son père» dans sa relation avec Édouard Stern. «Elle aussi était victime», lance-t-elle d'un ton complice à un avocat bavard, qui pense, lui, avoir décelé chez le banquier assassiné des tendances «schizos».

L'une des préposées à l'accueil avance que l'intérêt du public pour l'affaire découle d'abord et avant tout de la richesse de la victime et de la fenêtre qu'ouvre sa mort sur l'univers des gens riches et puissants.

«Si vous êtes pauvre, personne ne s'occupe de vous», dit-elle.