Il y a eu le Festival de Cannes. Il y a maintenant, pendant deux semaines et jusqu'à dimanche, le tennis à Roland-Garros, à raison de 12 heures de retransmission par jour à la télé. Autant dire que la plupart des Français n'ont plus guère de temps pour s'intéresser à ce que certains appellent pour s'encourager «le deuxième scrutin démocratique au monde» (après l'Inde).

Il s'agit de l'élection, dimanche, des 736 députés au Parlement européen de Strasbourg : le même jour, 375 millions d'électeurs sont appelés aux urnes dans les 27 pays membres, de la Grande-Bretagne à la Lituanie, de la Suède jusqu'au Portugal.

Cela pourrait ressembler à un événement historique: ça n'intéresse personne. Ou presque. Il y a des gens qui ne savent même pas que les élections auront lieu. D'autres qui n'iront pas voter. Selon des instituts de sondage, l'abstention pourrait atteindre ou dépasser les 60% en France. Ailleurs, comme en Pologne, elle pourrait frôler les 80%.

En France, les grands partis politiques ont attendu le plus tard possible pour démarrer une campagne qui fait fuir les téléspectateurs. Les rares débats télévisés ont été programmés en fin de soirée, à la sauvette et dans l'indifférence générale. Malgré quelques louables efforts pour remplir leur devoir civique, les grands journaux font le service minimum.

Le mode de scrutin n'arrange rien: en France, on vote à la proportionnelle sur sept grandes listes régionales, et les candidats ne font aucune campagne de terrain. D'ailleurs, c'est tout juste si on sait qui se présente, y compris pour les principaux partis. On a noté au passage la présence de la ministre de la Justice Rachida Dati à la deuxième place sur la liste de droite : mais on en a surtout parlé parce que cela signifiait son éviction du gouvernement. Et si le leader centriste François Bayrou mène la liste du MoDem, c'est parce qu'il prépare la présidentielle de 2012 en France. Au-delà de ces deux noms, c'est l'anonymat quasi total.

Comment pourrait-il en être autrement? Une fois de plus, en France, l'élection européenne est d'abord l'occasion de caser des seconds couteaux : des «jeunes» qui n'ont pas encore réussi à se faire élire au suffrage universel, des «vieux» qui ont perdu leur siège de député, des ministres dont on veut se débarrasser en douceur. Le Parlement de Strasbourg, c'est une sinécure sans grand intérêt, mais sans contrainte, où beaucoup ne siègent à peu près jamais. Pas de quoi enthousiasmer les électeurs.

Cela fait exactement 30 ans que les députés européens sont élus au suffrage universel. À l'époque, certains craignaient que ce nouveau Parlement ne se pose en rival des Parlements nationaux. Craintes bien injustifiées. Certes le Parlement de Strasbourg légifère à longueur d'année. Et surtout, il avait fortement contribué, en mars 1999, à faire tomber la Commission de Bruxelles présidée par Jacques Santer par un vote de défiance. Mais, en droit, le Parlement ne nomme ni ne démet l'influent président de la Commission. Dans ce domaine comme dans tout ce qui a de l'importance, c'est le conseil des ministres de l'Union (les représentants des 27 pays membres) qui prend toutes les décisions importantes. Et c'est la puissante Commission, aujourd'hui dirigée par le Portugais José Manuel Barroso, qui les applique. L'électorat français, comme les autres en Europe, ne s'y trompe pas : le Parlement de Strasbourg ne décide pas grand-chose.

Du coup, ces élections européennes sont d'abord et avant tout l'occasion de manoeuvres de politique intérieure: l'opposition tente de faire sanctionner le gouvernement, et réciproquement, dans la perspective des prochaines échéances électorales. La question numéro un qui agite le petit monde politique français : quel est l'état réel du Parti socialiste après deux ans de déchirement à propos de Ségolène Royal? Et quel est le rapport de force entre la gauche et la droite?

Accessoirement, ces élections sans grands enjeux et au scrutin proportionnel sont une occasion en or pour les petites formations, généralement extrémistes, de faire campagne à peu de frais : quelques «trotskistes» élus en France, poussée d'extrême droite en Suède ou en Grande-Bretagne. Les élections du 7 juin constituent un gigantesque sondage à l'échelle du continent. Mais guère plus. Donc on peut continuer à suivre ce qui se passe à Roland-Garros.