Après deux mois de bataille judiciaire, l'un des derniers grands criminels nazis présumés encore en vie, John Demjanjuk, est arrivé mardi en Allemagne où il devrait répondre de participation au meurtre de près de 30 000 Juifs.

Un petit appareil spécialement affrété pour transporter l'ancien gardien de camp nazi d'origine ukrainienne s'est posé vers 09h20 locales (3 h 20 HAE) sur le tarmac de l'aéroport international de Munich, dans le sud de l'Allemagne, en provenance des Etats-Unis où il vivait depuis 1952, loin de tout témoin.

Demjanjuk, 89 ans, a dormi pendant presque toute la durée du vol, selon le médecin qui l'accompagnait. Il a ensuite été transporté en ambulance, allongé avec un tuyau d'assistance respiratoire dans les narines, vêtu d'une veste de cuir et d'une casquette de base-ball, selon des photos.

Sa famille assure qu'il souffre d'une forme de leucémie, et il a fait le voyage avec un médecin, une infirmière et un prêtre, selon les médias allemands.

Il a été conduit à la prison de Stadelheim à Munich, a précisé à l'AFP un porte-parole du parquet, Anton Winkler. «Il va être dans un premier temps placé dans le service hospitalier de la prison» où Adolf Hitler a été incarcéré quelques mois en 1922, a-t-il ajouté.

Si son état le permet, les charges pesant contre lui lui seront notifiées, a précisé le parquet dans un communiqué.

La justice allemande l'accuse de participation au meurtre d'au moins 29 000 Juifs dans le camp d'extermination de Sobibor, aujourd'hui en Pologne, où il a été gardien du 27 mars 1943 à fin septembre 1943.

«Demjanjuk nie avoir été au camp de concentration de Sobibor», a déclaré dans un communiqué un des ses avocats allemands, Ulrich Busch, contestant également la compétence de la justice allemande et demandant sa libération.

M. Busch estime également que Demjanjuk a déjà été «inculpé et acquitté» en Israël et en Pologne, notamment pour des actions en tant que gardien dans les camps de Treblinka et de Sobibor, et qu'il ne peut pas être rejugé pour les même faits.

Condamné à mort en Israël en 1988, Demjanjuk a ensuite été acquitté par la Cour suprême israélienne en raison de doutes sur son identité.

Jusqu'à présent, l'ancien soldat de l'Armée rouge ne contestait pas avoir été gardien du camp de Sobibor, mais il assurait y avoir été contraint par les nazis en tant que prisonnier de guerre.

Demjanjuk, qui figure sur la liste du Centre Simon-Wiesenthal des «criminels de guerre nazis les plus recherchés», pourrait être confronté dès ce mardi à un témoin survivant de Sobibor, qui participerait à son identification, selon les médias allemands.

Dans un entretien à l'hebdomadaire Der Spiegel paru lundi, ce témoin, Thomas Blatt, 82 ans, a expliqué: «Je veux la vérité (...) Il doit avouer car il en sait tant. Il est le dernier coupable survivant de Sobibor».

Les gardiens ukrainiens de Sobibor «ont fusillé les nouveaux arrivants vieux et malades qui ne pouvaient plus avancer», a-t-il raconté. «Et ce sont eux qui ont poussé les gens nus dans les chambres à gaz à coups de baïonnette».

Le procès de Demjanjuk, s'il a effectivement lieu, serait l'un des derniers contre un criminel nazi présumé en Allemagne.

La présidente du Conseil central des Juifs d'Allemagne, Charlotte Knobloch, a estimé qu'il fallait «maintenant tout faire pour faire comparaître Demjanjuk devant la justice».

«C'est une course contre le temps», a-t-elle souligné. «Il ne s'agit pas de vengeance mais de rendre justice» aux victimes.

La justice allemande a lancé le 11 mars un mandat d'arrêt contre cet ancien ouvrier automobile de la banlieue de Cleveland, déchu de sa nationalité américaine en 2002.

Depuis, ses avocats ont tout tenté, jusqu'à la Cour suprême américaine, pour empêcher son expulsion vers l'Allemagne. Selon eux, Demjanjuk est trop vieux et trop malade pour survivre à un procès.

Lors d'une précédente tentative d'expulsion, il était apparu en chaise roulante, la bouche ouverte et émettant des râles. Mais une vidéo postérieure du ministère américain de la Justice avait ensuite montré un vieil homme tout à fait vaillant.

En décembre 2008, la plus haute autorité judiciaire allemande avait estimé qu'un tribunal de Munich était compétent pour le juger, au motif que Demjanjuk avait vécu près de la capitale bavaroise, en 1952, avant d'émigrer aux Etats-Unis.