A la lueur de feux, des jeunes moldaves discutent du déchaînement de violences qui a embrasé mardi leur capitale, Chisinau, et cherchent à expliquer comment leur manifestation anti-communiste a pu dégénérer.

Car si la Moldavie est le pays le plus pauvre d'Europe, elle n'est pas coutumière des révoltes, d'autant que la victoire du Parti communiste aux législatives de dimanche, qui a provoqué l'émeute, était loin d'être une surprise.

Même les manifestants interrogés par l'AFP s'étonnent du tournant rageur que le mouvement de contestation a pris.

«Les jeunes, je crois, ont tout simplement perdu patience. Ce chaos c'est pour dire qu'il nous faut quelque chose de mieux», tente d'analyser Andreï, 21 ans.

«Ici étudier coûte cher, entre 8 000 et 12 000 lei par an (550 et 820 euros environ), qui peut se permettre ça? Et puis ensuite on fait quoi? Les salaires sont minables et il n'y pas de travail», poursuit ce jeune chômeur.

Andreï reconnaît que les violences de mardi donnent une mauvaise image de leur mouvement, mais il juge qu'ainsi le pouvoir écoutera enfin les difficultés de la jeunesse de Moldavie: l'ex-république soviétique est classée 113e sur 179 à l'Indice de développement humain de l'Onu, tout juste devant le Vietnam.

Selon lui, ces jeunes constituent une génération sacrifiée, en comparaison de l'électorat traditionnel des communistes : les retraités et les habitants des campagnes.

Ils ont vu leurs parents fuir par centaines de milliers la misère à la fin des années 1990 et au début des années 2000, pour aller travailler en Europe ou en Russie.

«Les vieux votent pour les communistes parce qu'ils ont augmenté leurs retraites. Dans les campagnes, les gens reçoivent de l'aide. Les jeunes, eux, n'ont rien. On doit faire quoi ? Partir ? Comme nos parents ?», s'emporte Ion, 29 ans.

«Qui doit prendre la place des communistes? Je ne sais pas. N'importe qui du moment que ce ne sont pas les communistes», tempête-t-il.

Au-delà de la pauvreté, la jeunesse moldave, dont le peuple roumanophone est coincé entre la Roumanie et l'Ukraine, regrette aussi de rester aux portes de l'Union européenne, que Bucarest a rejointe en 2007.

Le tournant pro-européen adopté par le président moldave Vladimir Voronine en 2004, après trois ans de politique pro-russe, avait laissé croire à une entrée rapide dans la famille européenne, mais cinq ans plus tard, la jeunesse accuse les communistes d'empêcher cette intégration.

Dès lors pour certains, l'unification de la Roumanie et de la Moldavie, unies sous différentes formes jusqu'au 19e siècle puis brièvement au 20e siècle jusqu'à l'arrivée des troupes soviétiques, est de nouveau d'actualité.

«Voronine est contre l'intégration à la Roumanie, pourtant ce serait mieux! On serait dans l'Europe. Il faut s'unir à la Roumanie pour être dans l'Europe», entonne Andreï.

En attendant, le Parlement, aux mains des pilleurs, a été entièrement saccagé. Dans la nuit de mardi à mercredi, des restes de meubles se consumaient encore à la lueur des feux allumés par les manifestants.

Dans l'assemblée, tous les fauteuils ont été retournés, le sol est jonché d'éclats de verres, de documents officiels déchirés, de débris d'étagères et d'ordinateurs calcinés.

Aux cris de «A bas les communistes» et «vive l'Europe», quelques jeunes jettent à travers les fenêtres du bâtiment noirci par les flammes des écrans et des centaines de feuilles de papiers.

Lili, 25 ans, regarde la scène d'un oeil triste : «C'était déjà dur de vivre ici... Maintenant ça va être pire. Réparer tout ça va coûter une fortune et qui va payer? C'est nous tous».