Les violentes émeutes survenues en décembre à Athènes ont ramené au premier plan médiatique la difficile situation de millions de jeunes Européens incapables de trouver leur place sur le marché du travail. Elles ont aussi fait trembler les gouvernements de pays durement secoués par la crise économique - dont la France -, qui craignent de voir l'amertume des jeunes se transformer en manifestations chez eux aussi.

Hélène rêvait de faire du théâtre. Mais elle a choisi de poursuivre une formation en journalisme pour avoir un boulot «sûr». Un calcul qui s'avère, avec le recul, moins prudent que prévu.

 

Bien qu'elle ait suivi six années d'études universitaires et décroché un diplôme d'une «grande école» française (Sciences po), la jeune femme de 26 ans peine à trouver un travail digne de ses compétences.

«On se rend compte, après des années d'études, que les diplômes n'avancent à pas grand-chose. Qu'ils peuvent très bien, en fait, ne servir à rien du tout», souligne avec amertume la jeune Parisienne, qui préfère se confier sous un faux nom.

En cumulant des remplacements occasionnels dans une radio, des piges pour une revue de placement (!) et des contrats de relations publiques qui n'ont rien à voir avec ses aspirations, elle gagne un revenu mensuel d'environ 900euros (1400$). Guère de quoi festoyer dans une mégapole où le moindre appartement coûte facilement 500euros (790$) par mois.

La crise économique vient ajouter à ses tourments puisque la radio où elle travaille s'apprête à mettre à pied des centaines de personnes, ce qui réduira sa charge de travail. Et repousse aux calendes grecques toute perspective d'embauche.

Une humiliation

La frustration d'Hélène est exacerbée par les observations qu'elle a pu faire lors de stages - non rémunérés - dans les salles de rédaction de médias bien établis.

Nombre de postes, dit-elle, sont occupés depuis des décennies par des journalistes de la génération des baby-boomers qui «refusent de bouger» et qui sont, dans trop de cas, démotivés.

«Les gars disposent de privilèges énormes, obtenus durant une période d'abondance. Ils pompent les ressources et sont «invirables». Ça fait qu'il n'y a pas de renouvellement dans les salles de rédaction», souligne-t-elle.

Lorsque les baby-boomers partent, les employeurs en profitent souvent pour revoir à la baisse les conditions de travail ou choisissent de recourir à des stagiaires. «Ils n'auront même pas à faire de formation s'ils font appel à des personnes surdiplômées comme moi, qui ont fait 15 milliards de stages», fulmine Hélène.

Les difficultés de la jeune femme reflètent celles de millions de jeunes Français qui sont contraints, aujourd'hui, de retarder leur départ du foyer familial faute de trouver un travail susceptible d'assurer leur autonomie.

Cette cohabitation tardive est fréquente dans les pays du sud de l'Europe, qui sont marqués par une forte tradition «familialiste» d'inspiration catholique, souligne la sociologue française Cécile Van de Velde.

Cohabitation difficile en France

En Espagne, en Italie ou au Portugal, l'âge moyen de départ de la maison familiale est de 27 ans. Et la cohabitation prolongée est bien vécue. En France, où l'âge moyen de départ est de 23 ans, la dépendance prolongée envers les parents est vécue beaucoup moins facilement, voire comme une humiliation, souligne la spécialiste.

Les jeunes Français aspirent à une indépendance rapide, mais le système freine leurs élans. À l'opposé, dans des pays d'héritage protestant comme le Danemark, tout est mis en place pour favoriser l'autonomie des jeunes dès qu'ils atteignent la majorité.

L'État français préfère donner des ressources aux parents plutôt qu'aux jeunes eux-mêmes, ce qui exacerbe leur sentiment de dépendance.

La frustration des jeunes de l'Hexagone est augmentée par le fait qu'on leur a longtemps fait miroiter qu'un diplôme de prestige serait une garantie de sécurité. Ceux qui se retrouvent à vivoter sur le plan professionnel après avoir obtenu le précieux document vivent la chose d'autant plus difficilement. Plusieurs ont l'impression de faire partie d'une «génération sacrifiée».

La frustration accumulée pourrait facilement se déverser dans la rue, estime Mme Van de Velde, qui évoque l'importance des manifestations survenues il y a quelques années contre le CPE, un nouveau contrat qui facilitait l'embauche - et le licenciement - de jeunes travailleurs.

«Dans le contexte actuel, toute mesure qui serait vue comme une manière de faire porter aux jeunes le poids de la crise risquerait d'être très mal reçue», prévient la sociologue.

«On arrive aux limites du système», résume Hélène.