L'Union européenne s'est dit prête lundi à accueillir des détenus libérés de Guantanamo ne pouvant être renvoyés dans leur pays d'origine, à condition que les États-Unis prouvent d'abord qu'ils ne représentent aucun risque pour la sécurité.

Les ministres des Affaires étrangères de l'UE réunis à Bruxelles ont discuté du sort de près de 60 détenus du centre de détention américain à Cuba qui, s'ils devaient être libérés, ne pourraient être envoyés dans leur pays. Il s'agit de prisonniers originaires d'Azerbaïdjan, d'Algérie, d'Afghanistan, du Tchad, de Chine, d'Arabie Saoudite et du Yémen.

Le chef de la diplomatie française Bernard Kouchner a expliqué que la Commission européenne allait présenter dans les prochaines semaines un plan officiel définissant une approche commune des Vingt-Sept sur cette question, maintenant que Washington a changé de mains. L'UE demanderait notamment que des experts juridiques et de sécurité puissent se rendre à Guantanamo pour interroger les détenus concernés sur les pays où ils souhaiteraient être accueillis et leurs motivations, a précisé M. Kouchner.

Mais il a souligné que l'Europe avait encore trop de questions sans réponse pour s'engager à accueillir tel ou tel prisonnier. L'UE et les États-Unis doivent d'abord déterminer si les détenus seront considérés comme des réfugiés ou demandeurs d'asile, s'ils se verront imposer des restrictions liées à la sécurité dans leur nouveau pays d'accueil ou s'ils sont tout simplement trop dangereux pour être accueillis par l'Europe.

«Nous devons réfléchir à chaque cas», a-t-il expliqué à l'Associated Press. «Nous ne pouvons accepter quoi que ce soit ou qui ce soit facilement. Ce sera une longue procédure.» La France n'acceptera d'accueillir d'anciens prisonniers que dans des conditions très précises, a-t-il réaffirmé. Et de souligner que «juridiquement c'est difficile», car «chacun des 27 pays a des positions différentes et des cadres juridiques différents».

La République tchèque, qui a succédé à la France à la présidence tournante de l'UE, reconnaissait que la plupart des pays espéraient limiter leur implication dans l'accueil de ces anciens détenus de Guantanamo. «Personne n'est très chaud», et «nous devons éclaircir beaucoup de choses avec l'autre partie», a expliqué le chef de la diplomatie tchèque Karel Schwarzenberg après les entretiens informels lors du déjeuner.

Certains ministres admettaient néanmoins que leur propre pays, très critiques des conditions de détention seraient facilement taxés d'hypocrisie s'ils n'accueillaient pas au moins un ex-Guantanamo après avoir critiqué l'existence du camp sous l'administration Bush.

A peine entré en fonction, le nouveau président américain Barack Obama a ordonné jeudi dernier la fermeture d'ici un an du centre de détention de la base américaine de Guantanamo à Cuba, symbole des abus de la «guerre contre le terrorisme» lancée après les attentats du 11-Septembre.

Le président français Nicolas Sarkozy, qui s'est entretenu lundi soir avec son homologue américain, a salué «les mesures courageuses» prises dès le lendemain de son investiture, «en particulier l'annonce de la fermeture prochaine du camp de Guantanamo». «Ces mesures répondaient à une attente forte en Europe, et la France serait disponible pour aider les États-Unis à les mettre en oeuvre», souligne la présidence française.

D'après le Pentagone, sur les plus de 240 prisonniers encore détenus à Guantanamo, une centaine sont considérés comme trop dangereux pour être relâchés, quelque 80 pourraient être poursuivis devant des tribunaux américains mais pourraient être libérés s'ils sont acquittés, et une soixantaine sont libérables, mais ne peuvent être renvoyés dans leurs pays d'origine ou de résidence car ils risqueraient d'y être persécutés, emprisonnés ou exécutés.

Sur cette soixantaine de détenus, seuls 19, des Ouïgours qui ne peuvent retourner en Chine, ont été requalifiés comme civils, les autres restant considérés comme des «combattants ennemis», statut spécifique aux prisonniers de Guantanamo. Les cas de nombreux détenus ne sont pas tranchés et les candidats à l'installation en Europe devront sans doute attendre des mois avant que les questions de sécurité soient réglées