L'Ukraine et la Russie ont beau l'y pousser, l'Union européenne refuse de s'impliquer dans leur conflit gazier, tant les contrats entre Kiev et Moscou sont opaques et les relations des Européens avec Moscou déjà suffisamment compliquées.

«Nous refusons de prendre partie dans la dispute, c'est un différend commercial, nous ne connaissons pas tous les détails de tous les contrats qui sont confidentiels», a martelé samedi le vice-Premier ministre tchèque Alexandr Vondra, dont le pays préside l'UE.M. Vondra venait de rencontrer le vice-président du géant gazier russe Gazprom, après avoir reçu la veille une délégation ukrainienne, témoin des efforts des deux parties pour mettre l'UE de leur côté. En vain, assurent les responsables européens.

«L'objectif de nos efforts, ce n'est pas d'agir en médiateur, mais d'insister sur le respect des accords» de livraisons passés entre les importateurs de l'UE et Gazprom, a souligné M. Vondra.

L'UE refuse d'autant plus de s'impliquer dans les pourparlers entre Kiev et Moscou que les contrats russo-ukrainiens «manquent de transparence», a-t-il ajouté.

«Personne ne sait vraiment ce qu'il y a dans les contrats», explique une source proche de la présidence tchèque, «celui qui essaierait de s'en mêler risquerait gros».

Personne ne sait non plus qui est responsable des chutes de pression enregistrées dans les gazoducs hongrois, polonais ou roumains, signes avant-coureurs de baisses des volumes de gaz livrés, souligne cette source. Car personne ne sait quelles quantités de gaz sont envoyées par la Russie à l'Ukraine, faute de stations de mesure indépendantes à la frontière russo-ukrainienne.

Les seules mesures fiables dont dispose l'UE sont celles prises à l'arrivée dans les gazoducs directement reliés aux gazoducs ukrainiens - ceux de Slovaquie, de Hongrie, de Pologne et de Roumanie.

Au-delà de cette opacité, l'UE a d'autres raisons pour estimer que «son implication doit se limiter à encourager les deux parties à négocier de bonne foi», selon les termes de Cristina Gallach, porte-parole du diplomate en chef de l'UE Javier Solana.

L'une d'elles est que les négociations sont envenimées par les dissensions persistantes entre le Premier ministre ukrainien Mme Ioulia Timochenko et le président Viktor Iouchtchenko, notamment sur la société RosUkEnergo, intermédiaire aujourd'hui incontournable pour le transit du gaz russe vers l'Europe. Dissensions déstabilisantes pour l'Ukraine et inquiétantes pour l'UE, qui voyait dans cette ex-république soviétique un modèle d'évolution démocratique.

Autre raison: si l'UE prenait sous sa responsabilité ce contentieux ukraino-russe, «elle compliquerait encore plus la question de sa dépendance» énergétique envers la Russie, l'un des points sensibles de ses relations avec Moscou, explique un diplomate.

Or cette question est source de divergences au sein de l'UE, entre pays partisans d'une ligne dure envers le Kremlin et de liens étroits avec l'Ukraine - comme la Pologne et les pays Baltes - et ceux qui veulent au contraire ménager leur coopération avec Moscou et Gazprom - comme l'Allemagne et l'Italie, rappelle l'analyste Philip Hanson, de l'institut Chatham House.

«Je ne vois pas comment, lorsqu'il s'agirait de négocier vraiment certains points très délicats, l'UE arriverait à fonctionner de façon unifiée», dit-il.

Malgré l'envoi annoncé d'une mission européenne d'experts, l'UE devrait donc s'en tenir à presser les deux parties de trouver un accord et de livrer les volumes prévus.

D'autant que le niveau élevé des stocks de gaz de l'UE met à l'abri ses pays membres de problèmes d'approvisionnement pour «plusieurs semaines» encore, estime la présidence tchèque.

D'ici là, tout le monde espère que Kiev et Moscou -- dont «la réputation est en jeu», souligne M. Vondra -- auront trouvé un compromis.