Indignation et inquiétude: la coupure du gaz à l'Ukraine par le géant russe Gazprom ne laisse pas indifférents les habitants de Kiev, qui critiquaient vendredi avant tout leur propre gouvernement pour n'avoir pas su trouver un accord avec Moscou.

«Nous sommes très mécontents de notre gouvernement qui a laissé tout cela se produire», lance Irina, une retraitée de 68 ans, assise sur un banc dans un petit square du centre-ville avec un ami, malgré des températures glaciales. Un couple âgé d'une cinquantaine d'années qui se promène non loin de là ne savait pas encore que le robinet de gaz avait été coupé jeudi à 02H00 HNE par Gazprom.

Lorsqu'ils apprennent la nouvelle, la réaction est similaire: «C'est Iouchtchenko et Ioulia qui sont coupables de ça et de tout le bordel dans le pays», lance Vassyl, un homme d'affaires, en référence au président Viktor Iouchtchenko et au premier ministre Ioulia Timochenko, considérés comme pro-occidentaux.

«Pourquoi eux? Parce qu'ils ne se sont pas mis d'accord avec la Russie et qu'ils voient en elle un ennemi», renchérit sa compagne, Tamara.

M. Iouchtchenko et Mme Timochenko ont été portés au pouvoir par la Révolution orange - un soulèvement populaire - fin 2004.

Mais des disputes politiques incessantes entre les deux têtes de l'exécutif et l'absence des réformes promises ont ruiné la popularité du chef de l'État, soutenu actuellement par seulement 3%-10% de ses compatriotes, selon des sondages.

La confiance en Mme Timochenko reste bien plus élevée, mais elle s'est également effritée depuis que la crise économique mondiale a frappé l'Ukraine de plein fouet.

«On est les seuls avec la Géorgie (autre ex-république soviétique, dirigée par un président pro-occidental) à ne pas avoir mis de l'ordre dans nos relations avec la Russie car on prétend être de grands démocrates. Mais là ce n'est pas la démocratie, c'est de l'idiotie», s'emporte Natalia Dobrovolska, une femme d'affaires de 54 ans.

Elle s'en prend aussi à l'intransigence de Moscou, qui a coupé les livraisons à l'Ukraine malgré l'appel des autorités ukrainiennes à ne pas le faire et à reprendre les négociations.

«Laisser un énorme pays sans gaz au milieu de l'hiver, je ne comprends pas comment les dirigeants de deux grands États peuvent se permettre d'agir de la sorte», martèle Natalia.

Un spécialiste des études du marché Glib Vychlynski, âgé de 33 ans, est l'une des rares personnes interrogées par l'AFP à soutenir les autorités ukrainiennes.

«C'est bien que l'Ukraine ait adopté une position dure, qu'elle ne se rende pas et marchande activement», estime-t-il.

«Les autorités ont bien fait de stocker plein de gaz dans les réservoirs souterrains cet été et d'avoir réussi à rembourser 1,5 milliards de dollars de la dette gazière avant le Nouvel an» malgré la crise économique, se félicite M. Vychlynski, alors que Gazprom réclamait le paiement de plus de deux milliards.

Mais d'autres, surtout en province, sont moins insouciants, comme Olena Rakivska, ancienne infirmière habitant dans un village à quelque 150 kilomètres de Kiev et dont la maison est chauffée au gaz.

«Que va-t-on faire si on reste sans chauffage?» s'interroge anxieusement cette «babouchka» (grand-mère) de 77 ans. «J'ai tellement peur du froid!».

L'Ukraine a affirmé qu'elle disposait d'assez de gaz pour tenir tout l'hiver et compenser l'absence de livraisons russes jusqu'à ce qu'un nouveau contrat soit signé.