Faisant fi des hauts cris de l'opposition, le gouvernement français maintient le cap pour faire adopter un controversé projet de réforme de l'audiovisuel qui aura pour effet, au dire de ses détracteurs, de placer les chaînes publiques sous tutelle.

Le Parti socialiste, en multipliant les amendements, retarde depuis deux semaines l'adoption du projet de loi.

La mesure la plus spectaculaire de la réforme - soit l'abolition de la publicité des chaînes publiques - devait s'appliquer à compter du 5 janvier mais les retards encourus font en sorte que le Sénat n'aura pas encore eu le temps d'en débattre à cette date.

 

La ministre de la Culture, Christine Albanel, avait laisser planer la possibilité de faire adopter ce volet de la réforme par décret. Hier, elle a indiqué que le gouvernement demanderait plutôt au président de France Télévisions, Patrick de Carolis, qui chapeaute les chaînes publiques, d'imposer lui-même la fin de la publicité en attendant que les élus aient terminé leur travail.

«Il va se passer ce qui est déjà prévu, c'est-à-dire la fin de la publicité», a-t-elle déclaré hier en entrevue à la radio.

Pour pallier le manque à gagner de plusieurs centaines de millions de dollars qui découlera de la mesure, le gouvernement prévoit une nouvelle taxe sur les revenus publicitaires des chaînes privées et une autre taxe sur les opérateurs télécoms. Mais les critiques craignent que les sommes résultantes ne soient pas suffisantes pour protéger les emplois existants et assurer une programmation de qualité.

Pouvoir du chef de l'État

L'autre mesure controversée de la réforme confère au chef d'État français le pouvoir de nommer et de révoquer directement le président des chaînes publiques. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui était chargé de désigner l'administrateur, n'aura plus qu'un rôle consultatif. L'influence du président Nicolas Sarkozy sur le processus de nomination lui conférera un véritable pouvoir de censure, soulignent les critiques du projet de loi, qui évoquent le retour à une époque lointaine où la télévision publique agissait comme porte-voix du gouvernement.

L'élu centriste François Bayrou, estime que la réforme porte atteinte à des valeurs «républicaines fondamentales». Il réclame le dépôt d'une motion de censure qui n'a guère de chances d'aboutir en raison de la confortable majorité dont dispose la droite à l'Assemblée nationale.

Le Parti socialiste n'envisage pas cette voie, se concentrant plutôt sur une stratégie de blocage pour contrer un projet de loi jugé «bancal et dangereux».

Les syndicats de journalistes des chaînes publiques parlent d'une «catastrophe». «La télévision publique n'aura plus la capacité de résister au pouvoir du chef de l'État, ni les moyens de vivre», fustigent-ils.

Cette semaine, l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur a publié «l'appel des 500», une pétition regroupant plusieurs grands noms des milieux culturels et médiatiques, qui demandent au gouvernement d'amender le projet pour en corriger «les excès et les vices». Ils affirment notamment que le gouvernement va «à rebours de l'histoire» en s'attaquant aux conditions d'impartialité et d'indifférence des chaînes publiques plutôt que de les renforcer.

Au-delà de la question de la liberté de la presse se dessinent des allégations de conflit d'intérêts. L'actionnaire principale de la chaîne privée TF1, qui devrait bénéficier largement de l'interdiction de publicité sur les chaînes publiques, est Martin Bouygues, un ami de longue date du chef d'État français.

Le PDG de la chaîne, Nonce Paolini, a confirmé il y a quelques jours que l'entreprise avait recommandé l'abolition de la publicité dans un «livre blanc» remis au gouvernement fin 2007. Nicolas Sarkozy avait surpris tout le monde quelques semaines plus tard en annonçant sa volonté de faire aboutir une telle réforme.

Le président français écarte avec superbe les critiques, répétant à qui veut l'entendre que la réforme en cours est «excellente» et qu'il n'est aucunement question «de mettre la télévision à sa botte». La colère de l'opposition s'explique par le fait que le gouvernement «a mis le pied là où ils n'ont pas eu le courage d'aller par le passé», affirme le politicien.

Tant M. Sarkozy que Mme Albanel rappelle que des penseurs de gauche ont réclamé par le passé l'abolition de la publicité sur les chaînes publiques pour les soustraire à «la dictature» des cotes d'écoute. En omettant de dire, rétorquent les socialistes, que ces penseurs se seraient opposés à la précarisation budgétaire des chaînes et à un contrôle accru du chef de l'État.