Selon le policier qui l'a tirée, la balle qui a tué le jeune Alexis Grigoropoulos samedi soir à Athènes «était un coup de semonce qui a ricoché par terre». Mais elle a embrasé la Grèce comme les grands incendies de l'été 2007 n'avaient pas réussi à le faire.

Hier, au cinquième jour d'émeutes dans une dizaine de villes du pays, les manifestants ont convergé sur la place Syntagma, devant le parlement, dans le centre d'Athènes, à la faveur d'une grève générale décrétée par les deux grandes centrales syndicales grecques.

 

D'autres protestations ne sont pas prévues cette semaine, et le chef de l'opposition, George Papandreou, a appelé hier «à la responsabilité, à la retenue et à la fin des violences que notre pays connaît ces jours-ci».

Mais il est clair, pour les analystes, que le gouvernement du premier ministre Costas Caramanlis, déjà accablé par des scandales immobiliers, s'en trouve très fragilisé. Ces analystes se demandent s'il va décréter l'état d'urgence, au risque de raviver le spectre de la dictature militaire des années 70, ou s'il va remanier son cabinet.

Nouvelles élections?

Papandreou, chef du parti socialiste Pasok, réclame, lui, la démission du gouvernement et de nouvelles élections. «Caramanlis a échoué dans sa tentative de dégager un consensus avec les autres partis», écrit le quotidien conservateur Kathimerini.

Portée au pouvoir dans l'euphorie olympique de 2004, la Nouvelle démocratie de Caramanlis, un parti de droite, a été réélue en 2007, malgré les incendies de l'été, lors d'élections surprises.

«Les scandales et l'incompétence ont depuis longtemps privé son gouvernement de toute autorité morale», écrit Maria Margaronis, de l'hebdo américain The Nation. «Sa vision économique consiste à vendre ce qui reste du paysage grec aux spéculateurs immobiliers, alors qu'un Grec sur cinq vit sous le seuil de pauvreté», poursuit-elle.

Il y a trois mois à peine, Caramanlis a dû se débarrasser de deux ministres impliqués dans un scandale d'échange immobilier entre l'État grec et le riche monastère de Vatopédi, du mont Athos, territoire semi-autonome de l'Église orthodoxe.

«L'explosion de colère des jeunes peut faire ressurgir des problèmes sociaux enfouis, comme le chômage des jeunes et la hausse du coût de la vie», estime le politologue Georges Sefertzis, qui parle de «l'inexistence de l'État au milieu des émeutes».

«La Grèce ressemble à un navire sans capitaine», écrit Eleftherotypia, quotidien de gauche. «L'ampleur de la colère des jeunes révèle l'énorme impasse dans lequel se trouve le gouvernement. Il n'est pas sûr que la trêve de Noël calme le jeu», ajoute-t-il.

Pays de 11 millions d'habitants membre de l'Union européenne, la Grèce affichait en 2007 un taux de croissance économique de 4% et un PIB de 300 milliards de dollars. Mais la crise la frappe de plein fouet, au point où plusieurs parlent de «panique des classes moyennes».

«Les gens réclament des changements, sociaux, économiques et politiques», a dit Odysseas Korakidis, 25 ans, qui a deux emplois. «Ce n'est pas rare ici d'avoir deux jobs juste pour faire 1000 ou 1500$ par mois. Ailleurs, c'est inconcevable».

 

Craintes en France

Les émeutes en Grèce préoccupent les politiciens français, écrivait hier le quotidien Le Monde. Le président Nicolas Sarkozy aurait exprimé à propos de la Grèce «un souci de prévenir ce genre de situation dans notre pays», rapporte le journal, citant un député du parti majoritaire UMP présent au déjeuner des députés, hier à l'Élysée. «Les Français adorent quand je suis avec Carla (Bruni) dans le carrosse, mais ils ont (aussi) guillotiné le roi (Louis XVI)», aurait-il ajouté, selon un autre député. Le socialiste Jean-Christophe Chambadélis, d'origine grecque, voit les émeutes en Grèce comme «un avertissement» pour la France où, souligne-t-il, «la précarisation des étudiants n'est plus à démontrer».

Avec AFP, AP, Reuters, Le Monde, BBC, Kathimerini