Un membre d'équipage a été mis en cause jeudi dans l'accident du sous-marin nucléaire russe Nerpa qui a provoqué la mort de 20 personnes, une conclusion jugée trop rapide par ses camarades et plusieurs experts, inquiets qu'il ne devienne un bouc-émissaire.

«L'enquête a établi qu'un membre d'équipage, un matelot, a fait fonctionner le système anti-incendie à bord du sous-marin, sans autorisation et sans aucune raison», a déclaré un porte-parole du comité d'enquête, Vladimir Markine, cité par l'agence Ria-Novosti.

«Ce matelot a déjà avoué sa faute», a-t-il ajouté. L'inculpé, dont ni le nom ni l'âge n'ont été révélés, encourt jusqu'à sept ans de prison pour «violation des règles de navigation ayant entraîné la mort par imprudence» de plusieurs personnes.

Les victimes, trois officiers et 17 civils, ont été asphyxiées en inhalant du fréon émis par le déclenchement intempestif du système anti-incendie. Selon les autorités, aucun incendie ne s'était déclaré à bord. Le sous-marin, tout juste achevé, effectuait des tests en mer du Japon et comptait de nombreux ingénieurs et techniciens à bord.

«L'enquête se poursuit», a indiqué M. Markine.

Le ministère de la Défense a appelé pour sa part à ne pas tirer de conclusions prématurées. «Il faut d'abord attendre le résultat de l'enquête», a déclaré le chef de l'état-major russe, le général Nikolaï Makarov, cité par Ria Novosti.

Plusieurs experts et collègues du sous-marinier mettent d'ores et déjà en doute la version officielle.

«Nous ne croyons pas qu'il ait pu intentionnellement ou accidentellement déclencher le système anti-incendie. Je sers depuis longtemps avec lui, depuis 2003. Ce n'est pas un débutant. C'est un spécialiste compétent», a déclaré un officier du Nerpa à l'agence Interfax.

«Nous ne croyons pas qu'il soit coupable et craignons qu'il puisse faire des aveux sous la pression», a-t-il ajouté, sous couvert de l'anonymat. «Ils l'ont emmené hier soir pour un interrogatoire, et depuis il n'est pas revenu», a-t-il dit.

«Ce sera absolument injuste si un matelot est désigné comme le seul coupable de l'accident», estime l'expert militaire indépendant Alexandre Golts. Pour lui, «ses supérieurs devaient prévenir toute action fautive».

«En Russie, on a toujours tendance à chercher un bouc émissaire», renchérit un autre expert, Pavel Felgenhauer. Or «c'est un manque vital de cadres qualifiés en Russie depuis l'éclatement de l'URSS qui est à l'origine de la plupart des catastrophes», estime-t-il.

Parmi les victimes du Nerpa figure un spécialiste du chantier naval où le submersible avait été construit.

L'homme était âgé de 73 ans, un fait qui illustre parfaitement le problème de la formation des cadres, selon M. Felgenhauer. «Même le Kremlin dénonce les défaillances dans ce système», ajoute l'expert.

Un membre de la Chambre Civile de Russie, organe consultatif auprès de la présidence, l'avocat Anatoli Koutcherena, s'est dit pour sa part «inquiet de la rapidité avec laquelle le comité d'enquête a déterminé le coupable».

«Le coupable de la tragédie a déjà été annoncé. Mais que faire avec les fonctionnaires qui auraient dû assurer l'application de toutes les règles dans l'exploitation du submersible ?», s'interroge M. Koutcherena, cité par l'agence Interfax.

L'un des concepteurs du Nerpa, Mikhaïl Kheïfits, a pour sa part dénoncé un manque de financement de la part de l'Etat lors de la construction du sous-marin, dans une interview jeudi au quotidien Novaïa Gazeta. «La liste des spécialistes qui s'occupaient de l'équipement (du Nerpa) a changé à plusieurs reprises», dit-il.

Le quotidien populaire russe Tvoï Den expliquait jeudi le grand nombre de morts par le fait que plusieurs masques respiratoires à bord du Nerpa étaient «défectueux».

«Certaines victimes trouvées à bord du submersible portaient des masques respiratoires, mais ces appareils ne fonctionnaient pas», a assuré au quotidien le survivant Dmitri Oussatchev.