La «tandemocratie» autoritaire russe est bien en selle. Cinq mois après l'arrivée de Dmitri Medvedev à la tête de l'État et la nomination de son prédécesseur Vladimir Poutine au poste de premier ministre, les cotes de popularité du duo approchent la limite statistique: respectivement 83 et 88% des Russes approuvent les actions des deux leaders. Le vrai maître du jeu reste toutefois Vladimir Poutine, explique notre collaborateur.

«Je ne vois pas de différence. J'ai l'impression que Poutine est encore président.» Le politologue Alekseï Moukhine était pourtant de ceux qui croyaient avant l'élection de mars dernier que Dmitri Medvedev serait un président «fort» et que son prédécesseur choisirait la retraite plutôt que le «job routinier» de premier ministre. Les voies impénétrables du Kremlin l'auront confondu.

Le maître est encore l'homme fort du régime. L'élève apprend cependant très rapidement et commence à prendre ses aises, estime M. Moukhine. «Medvedev participe de plus en plus au processus. Poutine n'intervient qu'à la dernière étape de prise de décisions».

Mais il reste que si Medvedev fait parfois ressortir quelques «traits individuels propres», le mimétisme du «leader national» Poutine demeure toutefois la règle, souligne M. Moukhine, qui est directeur du Centre d'information politique, un petit institut de recherche moscovite.

Le juriste Medvedev, jusqu'à maintenant plutôt froid et droit, a même commencé à adopter à l'occasion le langage ordurier de l'ex-agent du KGB Poutine. Durant la guerre en Géorgie, il a ainsi qualifié publiquement d'«avorton», de «nabot», de «givré» et de «cadavre politique» son homologue géorgien Mikheïl Saakachvili.

Olga Krychtanovskaïa, experte des élites à l'Académie russe des sciences, n'a remarqué «aucun signe d'indépendance» de la part de Medvedev. Elle va même jusqu'à le qualifier de «président décoratif», devant un premier ministre fort, qui détient officieusement plus de pouvoir que ne lui en confère son poste.

Le sandwich Medvedev

Selon ses calculs, 84% des membres de l'entourage du nouveau président sont issus de la garde rapprochée de Vladimir Poutine.

«J'appelle ça le sandwich Medvedev'«, ajoute la sociologue, qui estime que le chef de l'État n'a ni la possibilité ni la volonté de se défaire de son mentor pour diriger seul.

La nouvelle construction bicéphale du pouvoir en Russie, un pays habitué au règne sans partage d'un seul homme, s'avère un «modèle gagnant et pratique», constate également Mme Krychtanovskaïa. Durant la guerre en Géorgie et l'escalade russo-occidentale qui s'ensuivit, le duo a pu par exemple se séparer les tâches et paraître complémentaire aux yeux des Russes. «Le pouvoir a réussi à créer chez la population l'impression qu'il est efficace», poursuit Alekseï Moukhine.

Les résultats de la présidentielle de mars dernier, remportée avec 70% des voix par Medvedev, ont peut-être été truqués, comme l'affirment opposants et observateurs électoraux, mais le sondage du Centre Levada est plutôt fiable: les deux leaders sont réellement des superstars politiques, leur taux d'approbation approchant les 90%.

Lev Goudkov, directeur du centre Levada, estime que la propagande sur les chaînes de télévision nationales, toutes contrôlées par le Kremlin, y est pour beaucoup. «Si on demande aux gens en quoi [leurs dirigeants] sont bien, ils ne savent pas trop quoi répondre. La plupart disent qu'ils n'ont simplement rien de particulier à leur reprocher», constate le sondeur.

En fait, la politique internationale du duo est l'une des rares choses citée comme une réussite. La plupart des Russes considèrent que Poutine a remis sur pied un empire à genoux, explique M. Goudkov. Le ton ferme que lui et son dauphin ont adopté pour répondre à l'Occident durant la guerre en Géorgie a d'ailleurs fait grimper leur popularité respectivement de 5 et 10% en un mois!

Mais au-delà de la propagande, les Russes ont aussi une raison bien rationnelle d'approuver leurs leaders, rappelle Lev Goudkov: depuis l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000, qui a coïncidé avec l'explosion des prix du pétrole et du gaz, dont la Russie est l'un des principaux exportateurs, le niveau de vie n'a cessé d'augmenter. «L'amélioration se ressent chez toutes les classes de la société.»

L'autoritarisme réinstauré par Poutine et qui se poursuit avec Medvedev est ainsi bien loin sur la liste des préoccupations des citoyens, constate M. Goudkov. «Les gens croient que le plus important, ce n'est pas la démocratie et la liberté, mais que leur vie n'empire pas.»

Esprits échauffés

Nouvelle guerre froide ou non, les esprits sont bel et bien échauffés: en septembre, 67% des Russes disaient avoir une opinion négative des États-Unis, un sommet d'impopularité depuis que le Centre Levada a commencé il y a 11 ans à sonder les humeurs de la population sur le sujet.

L'appui moral de l'administration américaine à l'ex-république soviétique de Géorgie lors de sa guerre avec la Russie en août a fortement irrité les Russes.

Le sociologue Ivan Klimov croit toutefois que ce sentiment général est plus le résultat de la propagande antiaméricaine des télés russes, que d'une profonde antipathie envers l'ancien ennemi. «La plupart des gens n'ont pas de relation personnelle avec les États-Unis. Leur opinion se forme à travers les médias», souligne-t-il.