(New York) En 29 ans de présence au marché en plein air du parc de Union Square, Stewart Borowsky n’avait jamais vu pareil tableau.

À 14 h, par une journée sans pluie, le marché le plus populaire de Manhattan était presque déserté. De toute évidence, une bonne partie de la clientèle habituelle avait décidé de rester à la maison plutôt que de s’aventurer dans les rues d’une ville enveloppée d’un brouillard passé du gris à l’orange en l’espace de deux heures, et dont l’air à l’odeur âcre de brûlé était devenu difficilement respirable.

À la vue de cette scène de fin du monde, M. Borowsky n’a pas seulement pensé à son manque à gagner du jour.

« C’est aussi matière à réfléchir en ce qui concerne l’avenir des marchés en plein air », a déclaré ce cultivateur et vendeur de fines herbes, dont les serres se trouvent à Sunset Park, quartier de Brooklyn. « Nous allons devoir composer avec quelque chose de tout à fait nouveau, les incendies de forêt, qui deviendront plus fréquents et qui auront un effet sur les activités en plein air qui me permettent de gagner ma vie. »

PHOTO J. DAVID AKE, ASSOCIATED PRESS

Un homme observe le One World Trade Center sous un épais brouillard.

Quelques étalages plus loin, la réaction de Nan, vendeuse de vodka de pommes de terre, était plus viscérale.

« Je pense que c’est terrifiant », a déclaré la résidante de Staten Island, qui préférait taire son nom de famille. « Car c’est quelque chose qui ne s’est jamais produit auparavant. Et parce que tout d’un coup, nous avons l’impression d’être dans un incendie de forêt. Les incendies sont si loin, mais nous respirons la fumée qui s’en dégage et c’est effrayant parce que nous ne pouvons rien y faire. Nous ne pouvons que prier pour la pluie. »

L’air embrumé et vicié

L’image du New-Yorkais imperturbable en a pris un coup au cours des 48 dernières heures. Sans que certains de ses citoyens ne sachent pourquoi, la ville qui ne dort jamais est devenue la ville qui respire à peine, dont les yeux et la gorge piquent et dont la célèbre silhouette se perd dans une brume fantasmagorique.

Mercredi après-midi, sur un banc de Bryant Park, en plein cœur de Manhattan, Danielle Warren a fini par comprendre de quoi il en retournait. Elle avait mis l’odeur de brûlé sur le compte des kebabs que font griller les cuisiniers de rue. Et elle croyait que ce plafond bas qui cachait le sommet des gratte-ciel était annonciateur de pluie.

Or, lorsqu’un journaliste lui a parlé des incendies de forêt au Canada, elle a tapé ces derniers mots dans son téléphone et découvert la manchette suivante, accompagnée d’une photo de la statue de la Liberté enveloppée dans un brouillard orange : « Fumée des incendies de forêt au Canada : des millions d’Américains concernés par des alertes à la qualité de l’air. »

PHOTO YUKI IWAMURA, ASSOCIATED PRESS

La célèbre statue de la Liberté enveloppée dans un brouillard orange

« Ouah ! », s’est exclamée la résidante de Brooklyn en écarquillant les yeux. « C’est fou ! C’est donc pourquoi l’air est si embrumé. »

Embrumé et vicié. En fin de journée, mercredi, l’indice de qualité de l’air pour New York a atteint le chiffre record de 484 sur une échelle de 0 à 500.

Une série de facteurs météorologiques expliquent pourquoi l’air de New York est devenu si pollué, selon John Cristantello, météorologiste en chef pour le bureau de New York du service météorologique national. Parmi ceux-ci : les courants de vent dans l’hémisphère Nord, qui circulent dans le sens inverse des aiguilles d’une montre dans les systèmes dépressionnaires et qui ont eu pour effet de pousser vers New York l’air brumeux et chargé de particules en provenance du Canada.

Retour des masques

Le phénomène a marqué mercredi après-midi le retour des masques dans une ville où la COVID-19 n’est plus une préoccupation majeure. Il a aussi attiré dans les rues de New York de nombreux photographes amateurs, qui s’arrêtaient à l’intersection des rues pour prendre des photos aux allures surréelles. Juan Cruz, un touriste argentin de 28 ans, braquait son appareil sur la 5e Avenue, à la hauteur de la 35e Rue.

PHOTO SAUL LOEB, AGENCE FRANCE-PRESSE

La capitale fédérale, Washington, a aussi vécu sous un ciel voilé, mercredi.

« Ça me fait penser aux fumées que nous avons connues récemment à Rosario, ma ville natale, qui est aussi celle de Messi », a dit cet ingénieur en faisant allusion au héros de la Coupe du monde de soccer.

Chez nous, les intérêts agricoles et immobiliers sont derrière les incendies de forêt. Que se passe-t-il au Canada ?

Juan Cruz, un touriste argentin à New York

À Central Park, où pas un joggeur n’était visible vers 16 h, Kenan Duzenli attendait sans trop d’espoir qu’un client se pointe pour une balade en vélo calèche.

« Je n’ai pas eu à subir la concurrence des calèches à cheval, qui se sont vu interdire de rouler par la police à 10 h 30, mais je n’ai eu que trois clients jusqu’à présent », a-t-il déploré.

N’aurait-il pas dû prendre congé, comme les chevaux, question de protéger ses poumons ?

« Contrairement aux chevaux, j’avais le choix », a répondu l’émigré d’origine turque.