(Kansas City, Missouri) Un après-midi, Anthony Roberts se met en route pour se rendre à pied à un dépanneur situé de l’autre côté d’une autoroute très fréquentée. Le trajet n’est pas facile.

Tout d’abord, il doit faire un détour pour atteindre une intersection. Ensuite, il doit attendre que le feu change. Lorsque le feu piéton s’allume enfin, il a peu de temps pour traverser plusieurs voies de circulation et atteindre le large terre-plein de l’autoroute. Enfin, il doit traverser l’autre voie de circulation pour achever son parcours.

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Anthony Roberts, résidant de Kansas City

Pour une personne qui n’a pas de voiture, c’est très difficile, surtout en hiver. Personne ne veut risquer sa vie en essayant de traverser l’autoroute.

Anthony Roberts, résidant de Kansas City

Le parcours de M. Roberts est un petit exemple des conséquences durables de la construction d’autoroutes qui traversent des quartiers urbains de toutes les villes du pays. Achevée en 2001 après des décennies de travaux, l’autoroute U.S. 71 à Kansas City, dans le Missouri, a déplacé des milliers d’habitants et coupé des quartiers majoritairement noirs des épiceries, des soins de santé et des emplois.

Beaucoup de travail

Les autorités de Kansas City cherchent aujourd’hui à réparer certains des dommages causés par l’autoroute et à reconnecter les quartiers qui l’entourent. À ce jour, la ville a reçu un financement de 5 millions US de l’administration Biden pour l’aider à élaborer des plans de changements potentiels, tels que la construction de passerelles qui pourraient améliorer la sécurité des piétons et mieux relier les gens aux transports en commun.

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De l’autoroute U.S. 71, il est possible de voir au loin le centre-ville de Kansas City.

Ce financement est un exemple des efforts déployés par l’administration pour remédier aux disparités raciales résultant de la manière dont les États-Unis ont construit leurs infrastructures routières au cours des dernières décennies. Le département des Transports a accordé du financement à des dizaines de projets dans le but de reconnecter les communautés, dont 185 millions US de subventions dans le cadre d’un programme pilote créé par la loi bipartisane sur les infrastructures, d’un montant de 1000 milliards US.

Mais le projet de Kansas City montre également à quel point il peut être difficile et coûteux de revenir sur des décisions prises il y a longtemps pour construire des autoroutes qui ont traversé des communautés de couleur et divisé des quartiers.

Bon nombre des projets financés par l’administration Biden laisseraient les autoroutes intactes, mais auraient comme objectif de réduire les dommages qu’elles ont causés aux zones environnantes. Et même la suppression d’une route n’est qu’un premier pas vers la revitalisation d’un quartier.

« Une fois qu’une communauté a été détruite, la remettre sur pied demande beaucoup plus de travail que la simple suppression d’une autoroute », a déclaré Beth Osborne, qui a été secrétaire adjointe par intérim au département des Transports dans le gouvernement de Barack Obama et qui est aujourd’hui directrice de Transportation for America, une association de défense des droits.

Legs du XXe siècle

Les États-Unis ont une longue histoire de projets autoroutiers divisant les communautés urbaines, qui remonte à la construction du réseau fédéral d’autoroutes inter-États au milieu du XXe siècle. Ces dernières années, l’idée de supprimer certaines de ces routes a fait son chemin dans plusieurs villes du pays, notamment à Detroit, à La Nouvelle-Orléans et à Syracuse, dans l’État de New York.

Au cours de la première année de son mandat, le président Joe Biden a proposé, dans le cadre de son plan d’infrastructure, un programme fédéral de 15 milliards US destinés à améliorer la situation des communautés touchées par la construction d’infrastructures de transport. Sa proposition initiale a été réduite à un programme beaucoup plus modeste, doté d’un financement de 1 milliard, dans le cadre du programme d’infrastructure bipartisan que le Congrès a approuvé par la suite.

Le département des Transports a annoncé la première série de subventions dans le cadre du programme en février, accordant 185 millions à 45 projets. Parmi ces subventions, environ 56 millions ont été alloués à la construction d’un pont au-dessus d’une voie rapide à Buffalo, dans l’État de New York, et 30 millions ont été consacrés au réaménagement d’une autoroute urbaine à Long Beach, en Californie.

Les autorités de Kansas City ont reçu un peu plus de 1 million de dollars de ce programme pour étudier la reconnexion d’une autre partie de la ville, le quartier Westside, qui est également séparé des autres zones par une autoroute, l’Interstate 35.

Le département des Transports utilise également d’autres subventions pour soutenir des projets destinés à recoudre les communautés. La subvention de 5 millions de dollars que Kansas City a reçue pour remédier à l’impact de l’autoroute U.S. 71 provient d’un programme appelé Rebuilding American Infrastructure with Sustainability and Equity, ou RAISE (Reconstruire l’infrastructure américaine avec durabilité et équité).

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Panneau routier indiquant aux automobilistes la direction de l’autoroute U.S. 71

Cette subvention est destinée à aider la ville à concevoir des plans d’amélioration le long d’un tronçon de l’autoroute. Les autorités municipales ne cherchent pas à supprimer complètement la chaussée, mais elles souhaitent rendre plus sûr le passage des piétons d’un côté à l’autre de l’autoroute. La construction de passerelles pourrait éviter aux habitants de traverser l’autoroute à pied, ce qui est dangereux, et faciliterait l’accès à une ligne de bus située à proximité.

Une empreinte durable

L’idée de ce qui est aujourd’hui l’autoroute U.S. 71 remonte aux années 1950, lorsqu’elle a été envisagée comme un moyen de relier le centre-ville de Kansas City aux zones situées au sud. Une bataille juridique dans les années 1970 et 1980 a retardé la construction pendant plus d’une décennie, et une partie de la route a finalement été transformée en promenade. Des milliers de personnes, dont de nombreuses familles noires, ont été déplacées pour faire place à la route de 16 kilomètres, également connue sous le nom de Bruce R. Watkins Drive.

Sa construction a laissé une empreinte durable sur Kansas City. Le Country Club District de la ville, un groupe de quartiers historiques situés à l’ouest de l’autoroute où les maisons se vendent généralement à plus de 1 million de dollars, n’a pas été touché par la route. La zone située à l’est de l’autoroute est nettement différente, avec une valeur immobilière plus faible et davantage de maisons abandonnées ou saisies.

Le maire de Kansas City, Quinton Lucas, a affirmé qu’il était impossible de vivre dans sa ville sans connaître les cicatrices laissées par l’autoroute sur la communauté noire. Des églises, des écoles et des entreprises ont disparu après la construction de l’autoroute.

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Le maire de Kansas City, Quinton Lucas, sillonne le quartier de Town Fork Creek, juste à l’est de l’autoroute U.S. 71.

Ron Hunt, qui vit depuis des décennies dans le quartier de Blue Hills, à l’ouest de l’autoroute U.S. 71, a déclaré qu’il avait vu l’autoroute paralyser la zone sur le plan économique, augmenter la criminalité et limiter l’accès aux magasins d’alimentation. Alors que d’autres quartiers de la ville ont continué à se développer et à s’épanouir, il a été peiné de voir sa communauté s’étioler après la construction de l’autoroute.

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Restaurant du quartier de Blue Hills, à l’ouest de l’autoroute U.S. 71

Des habitants comme Lisa Ray tentent de préserver ce qui reste des quartiers qu’ils aimaient. Lisa Ray a grandi à Town Fork Creek, juste à l’est de l’autoroute U.S. 71, qui était autrefois un quartier agréable de la classe moyenne, rempli d’entreprises appartenant à des Noirs. Mais l’autoroute l’a détruit, dit-elle.

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Lisa Ray, présidente de la Town Fork Creek Neighborhood Association, dans son domicile de Kansas City

Il y a 40 ans, quand ils ont lancé ce projet, tout semblait bien parti. Il ne s’est pas déroulé comme nous l’avions imaginé.

Lisa Ray, présidente de la Town Fork Creek Neighborhood Association

Aujourd’hui, elle et d’autres membres du comité de citoyens du quartier Town Fork Creek se portent volontaires pour fournir de la nourriture et d’autres produits de première nécessité aux personnes âgées que l’autoroute a coupées des épiceries. Ils achètent également des sacs poubelles et organisent des nettoyages pour éviter que des bouteilles, des pièces de voiture et des papiers ne jonchent les rues. Le comité a dépensé de l’argent pour acheter des barres de sécurité pour les portes afin de prévenir les entrées par effraction dans le quartier.

« Tout ce que nous faisons, c’est essayer, déclare Mme Ray. J’essaie tous les jours, une rue à la fois. Je ne peux pas aider tout le monde, mais j’essaie. »

Cet article a été publié à l’origine dans le New York Times.

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