(New York) Le sourire d’E. Jean Carroll disait tout. En sortant du tribunal fédéral de New York mardi après-midi, l’autrice de 79 ans ne s’est pas arrêtée pour s’adresser aux journalistes. Mais son bonheur se lisait sur son visage.

Et pour cause : après un procès civil de deux semaines – et trois petites heures de délibérations –, un jury de six hommes et trois femmes a conclu que Donald Trump était responsable d’agression sexuelle et de diffamation à l’endroit de l’ex-chroniqueuse du magazine Elle.

Le jury a également décidé que l’ancien président devra verser 5 millions de dollars en dommages-intérêts compensatoires et punitifs pour l’agression sexuelle et la diffamation.

Environ deux heures plus tard, E. Jean Carroll a fini par exprimer sa joie dans une déclaration écrite.

« J’ai intenté ce procès contre Donald Trump pour laver mon nom et retrouver ma vie. Aujourd’hui, le monde connaît enfin la vérité. Cette victoire n’est pas seulement pour moi, mais pour toutes les femmes qui ont souffert parce qu’elles n’ont pas été crues », a-t-elle affirmé.

« Une honte », dit Trump

Donald Trump, lui, avait fait connaître sa réaction dès après l’annonce du verdict dans un message publié sur Truth Social, sa plateforme.

« Je n’ai absolument aucune idée de l’identité de cette femme », a-t-il écrit.

Ce verdict est une honte – une continuation de la plus grande chasse aux sorcières de tous les temps !

Donald Trump

Plus tard, sur Fox News Digital, il a ajouté : « Nous ferons appel. Nous avons été très mal traités par le juge nommé par [Bill] Clinton. » Il a répété : « Je n’ai aucune idée de qui est cette femme. »

Son avocat, Joe Tacopina, a également promis d’en appeler du verdict.

« Étrange verdict », a-t-il déclaré devant les journalistes. « Il s’agissait d’une plainte pour viol, c’était une affaire de viol depuis le début, et le jury a rejeté cette plainte et a fait d’autres constatations. Nous allons évidemment faire appel de ces autres conclusions. »

PHOTO DAVID DEE DELGADO, REUTERS

Joe Tacopina, avocat de Donald Trump

Dans un livre publié en 2019, E. Jean Carroll avait accusé Donald Trump de l’avoir violée dans une cabine d’essayage du magasin Bergdorf Goodman de la 5e Avenue, à Manhattan, en 1996. L’ancien président avait nié l’accusation sur Truth Social en 2022, qualifiant l’affaire d’« escroquerie totale », de « canular » et de « mensonge ».

Le jury a rejeté l’allégation selon laquelle Donald Trump a violé E. Jean Carroll, c’est-à-dire qu’il avait eu une relation sexuelle avec elle sans son consentement. Mais il a conclu que le promoteur immobilier avait agressé sexuellement la journaliste.

Lors d’un témoignage qui s’est étalé sur trois jours, E. Jean Carroll a déclaré avoir été encouragée à rompre son long silence sur cette agression sexuelle par l’affaire Harvey Weinstein et le mouvement #metoo. Elle n’était certes pas la première femme à accuser l’ancien président d’inconduite ou d’agression sexuelle – plus d’une dizaine l’avaient déjà fait –, mais elle est la première à voir ses allégations accréditées en bonne partie par un jury.

En théorie, ce procès civil représentait pour Donald Trump un danger moindre que les enquêtes et procès criminels dont il fait l’objet et qui pourraient lui valoir des peines d’emprisonnement. Fin mars, il est devenu le premier ancien président américain à être inculpé pour un crime. Il devra répondre à 34 chefs d’inculpation pour falsification de documents d’entreprise en lien avec l’affaire Stormy Daniels, du nom de l’actrice porno qui affirme avoir eu une relation sexuelle avec lui.

Mais la sondeuse démocrate Celinda Lake a affirmé récemment que le procès civil pour viol et diffamation avait été suivi avec un intérêt particulier par une tranche de l’électorat que Donald Trump tente de ramener dans le giron républicain : les Blanches des banlieues américaines.

« Je ne pense pas qu’il puisse être élu »

Au moins un candidat à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle de 2024 a tenté d’exploiter le verdict du jury new-yorkais. Il s’agit de l’ancien gouverneur de l’Arkansas, Asa Hutchinson, qui n’est cependant pas considéré comme une menace pour Donald Trump.

« Au cours de mes 25 années d’expérience dans les salles d’audience, j’ai vu de mes propres yeux comment un mépris cavalier et arrogant de l’État de droit peut se retourner contre lui », a déclaré cet ancien procureur fédéral.

Le verdict du jury doit être traité avec sérieux et constitue un nouvel exemple du comportement indéfendable de Donald Trump.

Asa Hutchinson, candidat à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle de 2024 et ex-gouverneur de l’Arkansas

La présidente du Comité national républicain, Ronna McDaniel, s’est montrée beaucoup plus circonspecte. Lors d’une entrevue sur Fox News, elle a soutenu que les électeurs étaient prêts à « passer à autre chose ».

« Les gens votent en fonction de ce qui se passe dans leur vie », a-t-elle dit.

Mais le sénateur républicain du Texas, John Cornyn, n’est pas convaincu que l’électorat américain oubliera le verdict du jury new-yorkais.

« Je ne pense pas qu’il puisse être élu », a-t-il déclaré à CBS News en parlant de celui qui devance largement les autres candidats présidentiels du Parti républicain dans les sondages.

Donald Trump n’aura pas témoigné durant le procès intenté par E. Jean Carroll. Mais ses propres paroles l’auront piégé. Lors de sa plaidoirie finale, l’avocate de l’autrice, Roberta Kaplan, a présenté un extrait d’une déposition de l’ex-président où ce dernier confond l’ex-journaliste avec son ex-femme Marla Maples dans une photo datant des années 1980.

« Qu’a fait M. Trump après que je lui ai montré cette photo ? », a demandé l’avocate en s’adressant aux jurés. « Il l’a regardée pendant un moment, puis, sans que je le lui demande, il a dit : “C’est Marla.” C’était exactement son type ! »

Depuis 2019, Donald Trump avait non seulement répété qu’il n’avait jamais rencontré E. Jean Carroll, mais également qu’elle n’était pas « son type ».

« Il a dit que la photo était floue. Mais c’est la photo, mesdames et messieurs », a poursuivi Roberta Kaplan. « La vérité, c’est qu’E. Jean Carroll, ancienne meneuse de claques et Miss Indiana, était exactement le type de Donald Trump. »

Donald Trump devrait de nouveau être sur la sellette jeudi soir à l’occasion d’une assemblée publique tenue au New Hampshire et diffusée en direct par CNN. La décision de la chaîne d’information d’offrir pareille tribune à un candidat présidentiel réputé pour ses mensonges lui a valu des critiques.

L’animatrice Kaitlan Collins agira à titre de modératrice. Si l’assemblée a lieu comme prévu, elle subira le plus important test de sa jeune carrière face à un candidat présidentiel qui vient d’être jugé responsable d’agression sexuelle.

L’affaire en quatre dates

Juin 2019

E. Jean Carroll publie dans le magazine New York un extrait de ses mémoires, intitulés What Do We Need Men For ?, dans lesquels elle accuse Donald Trump de l’avoir violée au milieu des années 1990.

Novembre 2019

Carroll poursuit Trump pour diffamation (la poursuite civile pour assaut lié au viol présumé suivra en septembre 2022).

Octobre 2022

Trump répète ses démentis sur Truth Social, qualifiant Carroll de « menteuse » et son accusation de « canular ». Il répète aussi qu’elle n’est « pas [son] genre ».

Avril 2023

Début de la sélection du jury et ouverture du procès devant le juge Lewis Kaplan, du tribunal fédéral de New York.