(Washington) L’avenir de la pilule abortive aux États-Unis était plongé dans la plus grande incertitude samedi au lendemain de deux décisions contradictoires de juges fédéraux qui augurent d’une ultime bataille devant la Cour suprême.

Attaque et contre-attaque

Après l’arrêt historique de la Cour suprême qui, en juin, a rendu la liberté aux États d’interdire les avortements sur leur sol, la pilule abortive est devenue la nouvelle cible des opposants aux interruptions de grossesse.

En novembre, ils ont déposé plainte contre l’Agence américaine des médicaments (FDA) pour contester l’autorisation de mise sur le marché de la mifépristone (RU 486) qui, combinée avec un autre cachet, a été utilisée par 5,6 millions de femmes depuis son agrément en l’an 2000.

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Le juge fédéral Matthew Kacsmaryk, en 2017

Stratégiquement, ils ont déposé leur recours à Amarillo, au Texas, où l’unique juge fédéral, le magistrat Matthew Kacsmaryk, nommé par Donald Trump, est connu pour ses vues ultraconservatrices.

Le magistrat leur a donné satisfaction le soir du Vendredi saint : estimant, en dépit du consensus scientifique, que la mifepristone présente des risques pour la santé des femmes, il a suspendu son autorisation pour l’ensemble du territoire américain, en attendant un examen du fond du dossier.

Plus symboliquement, il a repris leur terminologie, préférant le terme « d’humain non né » à celui de « fœtus » ou évoquant des « avorteurs » pour parler des structures pratiquant des interruptions de grossesse.

Anticipant sa décision, une coalition d’États démocrates avaient saisi la justice fin février pour tenter de préserver cette pilule qui, prise en lien avec du misoprostol, représente aujourd’hui 53 % des avortements aux États-Unis.  

Une heure après la décision du juge Kacsmaryk, un de ses confères, le juge Thomas Rice, nommé par Barack Obama et siégeant dans l’État de Washington, a estimé que la mifépristone était « sûre et efficace » et a interdit à la FDA de retirer son agrément dans les 17 États à l’origine du recours.

Pause

Le juge Kacsmaryk a précisé que sa décision ne s’appliquerait pas avant sept jours, afin de laisser le temps aux parties de faire appel.

« Soyons clair, l’accès à la mifépristone reste légal pour l’instant », s’est empressé de souligner Alexis McGill Johnson, présidente de la puissante organisation de planification familiale Planned Parenthood.

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Samedi 15 avril, date possible d’entrée en vigueur de son jugement, l’organisation féministe Women’s March a appelé à « une mobilisation d’urgence » dans tous les États-Unis.  

Dans cet intervalle, les grandes manœuvres juridiques vont s’engager. « Nous allons nous battre contre cette décision », a promis le président démocrate Joe Biden.

La FDA, qui est représentée par le ministère de la Justice, et le laboratoire Danco qui produit la mifépristone, ont déjà annoncé leur intention de faire appel. Leur recours sera traité par une cour d’appel fédérale située à La Nouvelle-Orléans, elle aussi réputée pour son conservatisme.

Le gouvernement fédéral peut attendre que cette cour se prononce et se tourner vers la Cour suprême uniquement si elle valide la suspension de la mifépristone. S’il veut gagner du temps, il peut déjà — puisqu’il y a conflit entre deux juges fédéraux — demander à la haute juridiction d’intervenir.

Bataille suprême

Le dossier a donc de bonnes chances d’arriver rapidement devant le temple du droit américain.

Il lui sera adressé selon une procédure d’urgence, surnommée « le registre de l’ombre », qui permet de rendre une décision en accéléré sans audience publique ni obligation pour les juges d’expliquer les motifs de leur arrêt.

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Le juge en chef de la Cour suprême John Roberts

Pour éviter d’être accusée de manque de transparence, elle pourrait toutefois décider d’organiser une audience avant l’été.  Sinon, elle se prononcera sur la base des argumentaires écrits dans les prochaines semaines.

Le chef de la Cour, le conservateur John Roberts, très attaché à l’image de l’institution, devrait voter avec ses trois consœurs progressistes pour maintenir l’autorisation de la mifépristone. La question est de savoir si l’un ou plusieurs des cinq magistrats conservateurs se rallieront à eux pour former une majorité.

« La Cour suprême a une longue tradition de respect pour les avis scientifiques des agences fédérales », rappelle Lawrence Gostin, professeur de droit à l’université Georgetown, qui s’attend plutôt à une décision en faveur de la FDA.

« Mais l’issue de la bataille n’a rien de certain », explique-t-il à l’AFP, en rappelant que sa « supermajorité conservatrice a annulé le droit constitutionnel à l’avortement et s’est montrée hostile à des régulations fédérales liées à la COVID-19 ou au changement climatique ».

Pour cet expert renommé en droit de la santé, « c’est un moment périlleux pour les femmes américaines ».