(New York) Ce n’est peut-être qu’un hasard. Mais Donald Trump, visé par une possible inculpation à New York, ne serait pas le premier candidat présidentiel à choisir un endroit au lourd passé pour lancer un message à une frange particulière de l’électorat américain.

Il y a trois jours, l’équipe de campagne de l’ancien président a annoncé que ce dernier tiendrait le premier rassemblement de sa troisième campagne présidentielle à Waco, au Texas, samedi prochain.

Bref rappel historique avant d’aller plus loin : il y aura 30 ans le mois prochain, Waco a été le théâtre d’une apocalypse américaine. Après un siège de 51 jours, 76 membres reclus de la secte des Davidiens ont péri dans l’incendie qu’ils avaient déclenché au moment de l’assaut final des forces de l’ordre fédérales, qui les soupçonnaient d’avoir amassé un arsenal illégal d’armes à feu.

PHOTO FOURNIE PAR LE FBI, TIRÉE DE WIKICOMMONS

Vue aérienne de l’incendie du 19 avril 1993 qui a ravagé la résidence des Davidiens, à Waco

Depuis, le siège ou le massacre de Waco est considéré par l’extrême droite américaine comme la preuve de l’hostilité du gouvernement fédéral à l’égard des citoyens ordinaires. Timothy McVeigh, auteur de l’attentat à la bombe contre un édifice fédéral d’Oklahoma City qui a fait 168 morts et plus de 680 blessés, avait d’ailleurs exprimé l’espoir que son acte de terreur mette fin à la « guerre » commencée selon lui à Waco.

L’attentat d’Oklahoma City, faut-il le rappeler, est survenu le 19 avril 1995, soit deux ans jour pour jour après l’apocalypse de Waco.

Ce n’est peut-être qu’un hasard. Mais l’annonce du rassemblement de Donald Trump dans la ville texane intervient au moment où l’ancien président semble se sentir assiégé comme jamais par la justice américaine. Il a d’ailleurs prédit sur Truth Social samedi son arrestation imminente à New York en lien avec l’affaire Stormy Daniels, du nom de l’actrice porno, et appelé ses partisans à manifester, un peu comme il l’avait fait en prévision du 6 janvier 2021, date de l’assaut du Capitole.

Samedi, Donald Trump a également amplifié sur son réseau social l’appel aux armes d’un de ses partisans.

« Ils devront trouver un moyen de lutter contre 80 millions de personnes et plus, a écrit ce partisan. Les personnes de mon âge et plus âgées se battront physiquement pour lui cette fois-ci. Qu’avons-nous à perdre ? »

Et de conclure : « Nous sommes armés et prêts à tirer. »

Dans les pas de Reagan

En se rendant à Waco, samedi prochain, Donald Trump pourrait, en quelque sorte, suivre les traces de Ronald Reagan.

Le 3 août 1980, le futur président avait également choisi un endroit hautement symbolique pour tenir son premier rassemblement après avoir été investi par le Parti républicain en tant que candidat présidentiel. Il s’agissait du site de la foire annuelle du comté de Neshoba, situé tout juste à l’extérieur de Philadelphie, cette ville du Mississippi où, comme le raconte le film Mississippi Burning, trois militants des droits civiques – deux Blancs et un Noir – ont été tués par des membres du Ku Klux Klan en 1964.

C’est là que le gouverneur républicain de Californie, opposé à Jimmy Carter, un président démocrate issu du Sud, s’est adressé en termes codés aux suprémacistes blancs de la région, dont certains étaient encore inscrits sur les listes électorales en tant que démocrates.

« J’ai moi-même déjà été un démocrate », leur a dit Ronald Reagan. Quelques instants plus tard, il ajoutera : « Je crois aux droits des États. »

Il n’a pas eu besoin d’en dire plus. Pendant des décennies, les Blancs des États du Sud ont invoqué les « droits des États » pour justifier leurs lois ségrégationnistes.

Ronald Reagan venait donc d’employer ce qu’on appelle un « dog-whistle » raciste.

Donald Trump, lui, n’a pas l’habitude de faire dans la dilogie, terme que l’Office québécois de la langue française recommande pour parler de ce procédé rhétorique qui permet de dissimuler des propos « aux limites de la rectitude politique ».

Au cours des dernières années, l’ancien président a souvent approuvé ou utilisé des propos évoquant le recours à la violence en réaction à sa possible destitution ou inculpation.

En 2019, par exemple, il a cité sur Twitter cette déclaration d’un pasteur texan, Robert Jeffress, entendue sur Fox News à l’époque de la première procédure de destitution le visant : « Si les démocrates parviennent à destituer le président, je crains que cela ne provoque une fracture semblable à une guerre civile dont le pays ne se remettra jamais. »

L’an dernier, Donald Trump a tenu un discours similaire en parlant de sa possible inculpation en lien avec la découverte par le FBI de documents classifiés à Mar-a-Lago, son club privé de Palm Beach.

« Je pense que ce pays connaîtrait des problèmes tels qu’il n’en a peut-être jamais connu auparavant. Je ne pense pas que le peuple des États-Unis l’accepterait », a-t-il déclaré lors d’une entrevue accordée à un animateur de radio conservateur.

Il y aura très bientôt 30 ans à Waco, le FBI et d’autres agences fédérales ont commis des erreurs funestes qui ont contribué à l’incinération du gourou David Koresh et de la plupart de ses disciples. La plus importante aura sans doute été d’utiliser contre cette secte apocalyptique des tactiques destinées aux groupes criminels ordinaires.

Mais cela ne diminuait en rien la responsabilité du gourou des Davidiens, qui voulait mourir en martyr.

Près de 30 ans plus tard, Donald Trump se retrouvera donc à Waco à un moment crucial de sa carrière politique. Dans les prochains jours, il pourrait devenir le premier ancien président américain à être inculpé pour un crime.

Et bien que le site du premier rassemblement de sa troisième campagne présidentielle ne soit peut-être qu’un hasard, celui-ci n’a rien de rassurant.