(New York) Les électeurs de Chicago n’ont pas élu un seul maire républicain depuis William (Big Bill) Thompson, dont l’histoire se souvient surtout pour son alliance ouverte avec un certain Al Capone. Sont-ils enfin prêts à en élire un autre ?

La question ne manquerait pas d’irriter Paul Vallas. Mardi dernier, l’ancien chef des écoles publiques de Chicago est arrivé en tête du premier tour de l’élection à la mairie de ce bastion démocrate, qui a vu la mairesse sortante, Lori Lightfoot, être éliminée sèchement après un seul mandat.

Comme tous les candidats en lice – ils étaient neuf au départ –, Paul Vallas s’est présenté sous la bannière démocrate. Mais ses concurrents ne l’ont pas moins accusé d’être un républicain déguisé. Et ils ont pu utiliser ses propres mots pour étayer cette accusation.

« Je suis plus un républicain qu’un démocrate », a déclaré Paul Vallas en 2009 lors d’une interview qui a refait surface dans des publicités diffusées par deux de ses rivaux. « Si je devais à nouveau me présenter aux élections, je le ferais en tant que républicain », a-t-il ajouté.

Qu’à cela ne tienne. Une pluralité d’électeurs de Chicago ont aimé le discours de l’unique candidat blanc de la course sur la criminalité, thème prépondérant de cette élection, et talon d’Achille de Lori Lightfoot, qui avait écrit une page d’histoire en devenant la première mairesse noire (et lesbienne) de la troisième ville des États-Unis.

« La situation s’est améliorée au cours de la dernière année, en particulier en ce qui a trait aux carjackings », a commenté Dick Simpson, observateur et acteur de longue date de la politique municipale à Chicago. « Mais les citoyens demeurent préoccupés par la criminalité. Le taux d’homicide est trop élevé et les crimes graves continuent. »

Des candidats aux antipodes

Âgé de 69 ans, Paul Vallas se pose en candidat de l’ordre public. Il promet de « faire de Chicago la ville la plus sûre en Amérique » en pourvoyant 1700 postes vacants au sein du service de police, en « démenottant » les policiers pour les aider à combattre la criminalité et en ajoutant 700 nouveaux postes d’agent, entre autres.

Fort de l’appui de 34 % des électeurs au premier tour, il affrontera, le 4 avril prochain, date du deuxième tour, Brandon Johnson, qui a récolté 20 % des voix (Lori Lightfoot a fini troisième avec 17 % des suffrages).

PHOTO PAUL BEATY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le candidat à la mairie de Chicago Brandon Johnson

Les finalistes ne pourraient pas être plus différents l’un de l’autre sur la criminalité. Élu au poste de commissaire du comté de Cook en 2018, Brandon Johnson est un organisateur syndical qui a appelé au « définancement » de la police après le meurtre de George Floyd à Minneapolis en 2020. Âgé de 46 ans, le candidat noir dit vouloir s’attaquer aux causes profondes de la violence en investissant dans l’éducation, l’emploi, le logement et la santé mentale.

Face aux forces en présence, les mordus de la politique à Chicago se frottent les mains, prédisant une campagne explosive, où les questions idéologiques accentueront les dynamiques raciales d’une ville où les Blancs, les Noirs et les Latinos représentent chacun un tiers de l’électorat.

Les vrais républicains, eux, salivent à la perspective d’une lutte fratricide entre démocrates sur un thème qui a une résonance nationale.

Pour l’emporter, Brandon Johnson devra démontrer que cette lutte n’a justement rien de fratricide, selon Victor Reyes, vétéran de la politique municipale à Chicago. « Il doit dépeindre Paul [Vallas] comme un trumpiste et un républicain », a-t-il confié au Chicago Sun-Times.

Paul Vallas, un « trumpiste » ? Quand La Presse a posé cette question à Dick Simpson, il a marqué une pause avant de répondre : « Eh bien, il a été associé à des partisans de Trump, notamment le chef du syndicat de la police et certains des groupes qui essaient d’interdire les discussions sur les droits des homosexuels dans les écoles et d’interdire des livres. »

« Cela ne veut pas dire qu’il est lui-même un républicain d’extrême droite à la Trump », a ajouté celui qui a été conseiller municipal, consultant auprès de deux maires de Chicago (Jane Byrne et Harold Washington) et politologue à l’Université de l’Illinois à Chicago.

« Aller au-delà de sa base »

Une chose est sûre : Paul Vallas a de l’expérience à revendre. Après avoir servi comme directeur du budget sous le maire Richard Daley au début des années 1990, il a dirigé tour à tour les écoles publiques de Chicago, de Philadelphie, de La Nouvelle-Orléans et de Bridgeport, au Connecticut, avec un succès inégal. Il a aussi brigué en vain divers postes, dont celui de gouverneur de l’Illinois en 2002 et de maire de Chicago en 2019, toujours comme démocrate.

Le curriculum vitæ de Brandon Johnson, un ex-enseignant, est beaucoup moins long. Mais le défi qu’il devra surmonter d’ici le 4 avril n’est pas différent de celui de son rival, selon Dick Simpson.

« Chacun des candidats doit aller au-delà de sa base et de son propre groupe ethnique et obtenir le soutien d’au moins un des autres groupes raciaux », a expliqué le professeur émérite.

« Dans le cas de Vallas, il doit apparaître un peu moins conservateur, un peu moins agressif à propos de la police. Dans le cas de Johnson, il doit montrer clairement qu’il a des programmes qui vont fonctionner. Il doit convaincre les Latinos ou les Blancs qu’il est progressiste, qu’il les aidera, mais dans les limites du budget de la ville et des autres contraintes. »

Qu’il soit républicain au fond de l’âme ou démocrate de tout cœur, le gagnant ne sera probablement jamais aussi corrompu que Big Bill Thompson, l’homme d’Al Capone à la mairie de Chicago.