Depuis 2020, l’« ordinateur de Hunter Biden » occupe une place unique dans l’imaginaire de la droite trumpiste, qui croit y avoir trouvé les preuves de la criminalité de la première famille des États-Unis. Fait indéniable, il servira de pièce à conviction dans l’enquête qu’entendent mener les républicains de la Chambre des représentants en 2023 pour déterminer si les affaires de Hunter Biden compromettent son père. D’où l’importance d’y plonger à notre tour.

(New York) Le disque dur

Le New York Post a révélé l’existence de l’« ordinateur de Hunter Biden » le 14 octobre 2020, soit environ trois semaines avant l’élection présidentielle de 2020. Le tabloïd conservateur n’a lui-même jamais vu cet ordinateur, mais il a obtenu, par l’entremise de Rudolph Giuliani et de Steve Bannon, deux alliés de Donald Trump, une copie du disque dur d’un MacBook Pro.

Selon un récit que Hunter Biden et ses avocats refusent encore de confirmer, le fils du futur président a confié le portable endommagé à un atelier de réparation du Delaware le 12 avril 2019 et ne l’a jamais récupéré. Le propriétaire de l’atelier, un partisan de Donald Trump, a remis l’ordinateur au FBI le 9 décembre 2019, souhaitant qu’une enquête soit ouverte sur son contenu. Il avait fait auparavant deux copies du disque dur, dont l’une s’est retrouvée en possession de Giuliani en septembre 2020.

Le disque dur contient 217 gigaoctets de données, dont 130 000 textos, 154 000 courriels, plus de 2000 photos et plus de 1000 vidéos.

Après l’analyse d’une des copies du disque dur, deux experts embauchés par le Washington Post sont parvenus à authentifier 22 000 courriels, soit une fraction seulement du total. Ils ont constaté que les données avaient été consultées et copiées à plusieurs reprises par des personnes autres que Hunter Biden. Et bien qu’ils n’aient trouvé aucune preuve irréfutable de falsification, ils n’ont pas pu exclure cette possibilité.

Certains médias, comme le Washington Post et le New York Times, ont publié en 2022 quelques articles sur l’« ordinateur de Hunter Biden » en se fondant sur les courriels qu’ils sont parvenus à authentifier. D’autres médias, comme le New York Post et le Daily Mail de Londres, se sont montrés beaucoup moins circonspects.

IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Laptop from Hell, de Miranda Devine

Mais aucun n’est allé aussi loin que Miranda Devine, chroniqueuse au New York Post et originaire d’Australie, pays natal de son patron, Rupert Murdoch, qui a publié en vrac les données de sa copie du fameux disque dur dans un livre de 224 pages intitulé Laptop from Hell.

L’identité du « big guy »

Les courriels authentifiés par le Washington Post couvrent une période allant de 2009 à 2019, alors que Hunter Biden agissait à titre de conseiller auprès de sociétés établies en Chine et en Ukraine et qu’il explorait des occasions d’affaires dans plusieurs autres pays. Joe Biden a été vice-président de 2009 à 2017.

Certains des courriels authentifiés portent sur une affaire mise au point par Hunter Biden avec le conglomérat chinois CEFC, spécialisé dans les services énergétiques et la finance, affaire pour laquelle une société créée par le fils de Joe Biden et son oncle, Jim Biden, a reçu 4,8 millions de dollars.

PHOTO NICK WASS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Joe Biden et son fils Hunter, en janvier 2010

Selon des tenants de la droite, un autre courriel, qui n’a pas été authentifié par le Washington Post, implique directement Joe Biden dans les affaires de son fils. Dans un courriel daté du 13 mai 2017, James Gilliar, associé de Hunter Biden, résume la façon dont seront réparties les parts d’une entité créée par cinq partenaires dans le cadre d’un autre projet avec le conglomérat chinois CEFC. Après avoir écrit que quatre partenaires recevraient 20 % des parts, sauf Jim Biden, qui obtiendrait 10 %, il ajoute : « 10 % détenues par H pour le ‟big guy” ? » Tout le monde semble d’accord pour dire que « H » fait référence à Hunter Biden.

Mais qui est le « big guy » ? Pour de nombreux républicains, il n’y a pas de doute, il s’agit de Joe Biden, qui n’était alors plus vice-président. Un des destinataires du courriel, Anthony Bobulinski, l’a lui-même prétendu. En mauvais termes avec Hunter Biden, Bobulinski a été invité par Donald Trump à assister à l’un des débats présidentiels de 2020.

Mais Gilliar, l’auteur présumé du courriel, a nié l’assertion de Bobulinski lors d’une interview accordée au Wall Street Journal en 2020. Autre détail : trois jours après le courriel du 13 mai 2017, un projet d’accord créant la nouvelle entité a été distribué parmi les partenaires. Il ne mentionnait pas Joe Biden et accordait à Jim Biden 20 % des parts.

Le projet avec le conglomérat chinois n’a jamais produit de revenu. Les républicains focalisent sur un autre courriel qui contredit selon eux la déclaration de Joe Biden selon laquelle il n’a jamais été mêlé aux affaires de son fils. Vadim Pojarski, conseiller de la société gazière ukrainienne Burisma, est l’auteur de ce courriel authentifié par le Washington Post et daté du 17 avril 2015. À l’époque, Hunter Biden recevait jusqu’à 50 000 $ par mois pour siéger au sein du conseil de cette société qui tentait de se refaire une beauté réputationnelle. Dans le courriel, Pojarski remercie Hunter Biden « de [l]’avoir invité à Washington et de [lui] avoir donné l’occasion de rencontrer [son] père et de passer quelque temps ensemble ».

Pendant la campagne présidentielle de 2020, l’équipe de Joe Biden et l’avocat de son fils ont démenti qu’une telle rencontre a eu lieu. En juin 2021, le vérificateur des faits du Washington Post a évoqué la possibilité que Joe Biden ait croisé l’Ukrainien lors d’un souper tenu dans la salle privée d’un restaurant de Washington, où le vice-président est passé pour saluer une vieille connaissance.

Au-delà des allégations et des démentis, une chose est claire : Hunter Biden a profité de son patronyme et de la fonction de son père pour s’enrichir. Mais les agents fédéraux chargés d’enquêter sur ses affaires n’auraient trouvé aucun élément permettant de le poursuivre pour son travail à l’étranger. Ils auraient cependant assez d’éléments pour l’accuser d’avoir fraudé le fisc et menti lors de l’achat d’une arme à feu en 2018. Quant aux médias les plus crédibles, ils n’ont pas réussi à trouver d’éléments prouvant que Joe Biden a profité des affaires de son fils.

La « vache à lait » de la famille

« Bonjour, mon beau fils. Tu me manques et je t’aime. Papa. » Le 24 février 2019, Joe Biden envoie à son fils un texto caractéristique : bref et affectueux. Hunter Biden, qui se trouve alors en cure de désintoxication, répond sur un ton rempli d’amertume.

Il se plaint notamment d’un article où les membres de l’entourage de son père le mentionnent comme raison qui empêcherait leur patron de briguer la présidence en 2020. « Ton équipe a fait de moi le fraudeur du fisc, le coureur de jupons, l’accro au sexe et à la drogue incontrôlable que tu essaies en vain de sauver. Ils ont tiré un trait sur toute ma vie », se lamente-t-il.

Deux mois plus tard, à quelques jours de l’annonce de la candidature présidentielle de son père, Hunter Biden revient à la charge dans un autre texto : « Si tu ne te présentes pas, je n’aurai jamais de chance de me racheter. » Son père lui répond : « Je vais me présenter, mais j’ai besoin de toi. Le seul objectif est la guérison. »

PHOTO MANDEL NGAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Joe et Hunter Biden, en novembre dernier

Parmi tous les documents tirés de l’« ordinateur de Hunter Biden », les échanges de textos et de courriels entre les membres de la première famille sont les plus poignants. Ils se produisent durant la période la plus turbulente de la vie du deuxième fils de Joe Biden, qui a déjà vécu un drame inimaginable durant son enfance : à 3 ans, il a perdu sa mère et sa petite sœur de 13 mois dans un accident de voiture auquel il a survécu avec son frère Beau, qui avait 4 ans. Ce même Beau, procureur général du Delaware et vétéran de la guerre d’Irak, est mort d’un cancer au cerveau à 46 ans en 2015.

À la consternation de tous les autres membres de sa famille, Hunter Biden, séparé de sa femme Kathleen Buhle depuis 2015, a noué une relation amoureuse avec la veuve de Beau, Hallie Biden, en 2016. « Ce n’est pas de l’amour, c’est le “high” de mon frère », s’indigne Ashley Biden, demi-sœur de Hunter Biden, dans un groupe de discussion où des membres de la première famille prennent Hallie à partie au sujet de sa relation avec le frère de son défunt mari.

Dans Laptop from Hell, Miranda Devine cite un message vocal enregistré par Hunter Biden lors « d’une soirée d’ivresse à Los Angeles en 2018 » pour étayer une thèse controversée : le fils de Joe Biden était la « vache à lait de sa famille » et il en avait marre qu’on ne le reconnaisse pas. « Beau n’a pas pris ses putain de responsabilités », fulmine Hunter Biden en s’adressant à un ami dans ce message. Un an plus tard, dans un courriel à sa fille Naomi, qui a alors 25 ans, il ajoute : « J’espère que vous pourrez tous faire ce que j’ai fait et tout payer pour cette famille entière pendant 30 ans. C’est vraiment dur. Mais ne vous inquiétez pas, contrairement à Pop [Joe Biden], je ne vous obligerai pas à me donner la moitié de votre salaire. »

En expliquant sa thèse, adoptée depuis par un tas de tenants de la droite, Miranda Devine n’envisage pas la possibilité que les propos de Hunter Biden, tenus sous l’emprise de l’alcool ou de la drogue, aient été hyperboliques. Elle ne semble pas non plus tenir compte du fait que le fils de Joe Biden a surtout été la « vache à lait » de revendeurs de drogue et de prostituées, selon les révélations entourant son divorce d’avec Kathleen Buhle.

L’enfer du sexe et de la drogue

« Venez pour la pornographie, restez pour les compromis. » L’aphorisme de Steve Bannon signifie que l’intérêt premier de l’« ordinateur de Hunter Biden » ne résiderait pas dans le nombre effarant de photos et de vidéos mettant en scène le fils du président des États-Unis avec des prostituées, souvent deux à la fois. Ce sont les détails concernant ses affaires avec la Chine qui importeraient vraiment, selon l’ancien stratège de Donald Trump.

Mais les voyeurs ne semblent pas pouvoir résister à l’obsession de Hunter Biden pour la pornographie, obsession alimentée par une grande consommation de crack et de Viagra. Le fils du futur président filmait ses ébats, les regardait par la suite sur son ordinateur – en oubliant parfois d’éteindre la caméra – et les publiait souvent sur le site Pornhub sous le pseudonyme « RHEast ».

Les complotistes du mouvement QAnon, eux, profitent de cette obsession pour laisser croire faussement que l’« ordinateur de Hunter Biden » contient les preuves de sa pédophilie.

PHOTO MANDEL NGAN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Melissa Cohen, Hunter Biden et Joe Biden, en novembre dernier

Au moment d’écrire ces lignes, Hunter Biden se porte mieux, semble-t-il. Il vit en Californie avec sa nouvelle femme, Melissa Cohen, une militante sud-africaine qu’il a rencontrée et épousée en l’espace de six jours en 2019, et leur fils, Beau, aujourd’hui âgé de 2 ans. Il se consacre à la peinture, une autre de ses passions. L’ouverture de sa deuxième exposition solo a eu lieu le 9 décembre dernier dans une galerie de SoHo, à New York, où le prix de la toile la plus chère était fixé à 225 000 $.

Des critiques de Hunter Biden affirment qu’il continue ainsi à exploiter son patronyme et la fonction de son père. Certains spécialistes lui reconnaissent un authentique talent d’artiste.