(New York) Malgré sa promesse de rompre avec la diplomatie de Donald Trump, Joe Biden suivra l’exemple de son prédécesseur à l’occasion d’un des moments les plus symboliques et fastueux de sa présidence.

Le président américain réservera ce jeudi l’honneur de la première visite d’État de son mandat à Emmanuel Macron, évènement qui sera notamment ponctué d’une cérémonie d’accueil à la Maison-Blanche, d’un entretien privé dans le bureau Ovale, d’une conférence de presse commune et d’un dîner d’État agrémenté d’une performance de Jon Batiste, lauréat de cinq Grammy Awards.

Emmanuel Macron deviendra ainsi le premier président français à avoir droit pour la deuxième fois aux traditionnels 21 coups de canon qui retentissent à l’amorce d’une visite d’État aux États-Unis.

Mais il ne s’agira pas du seul précédent, selon Erik Goldstein, professeur de relations internationales à l’Université de Boston et spécialiste des visites d’État.

« Je ne peux pas penser à un autre exemple où la première visite d’État d’une nouvelle administration a honoré le même dirigeant que la première visite d’État de l’administration précédente », dit-il.

Cela tient en partie aux circonstances. Mais cela témoigne aussi de l’importance de la France aux yeux des États-Unis. Les États-Unis envoient au monde le signal que la France est un allié très important à un moment critique.

Erik Goldstein, professeur de relations internationales à l’Université de Boston

Ce moment critique est défini en partie par un conflit militaire en Europe, continent où les États-Unis ne trouvent pas auprès de certains alliés traditionnels, dont le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie, des dirigeants expérimentés ou fiables.

Or, malgré des divergences sur certains sujets touchant à la guerre en Ukraine, l’administration américaine exprime respect et appréciation pour le rôle que la France joue dans ce dossier. Elle voit aussi d’un bon œil les actions du pays d’Emmanuel Macron en Asie.

Aussi, en expliquant la raison pour laquelle Emmanuel Macron aura droit à une deuxième visite d’État, un responsable de la Maison-Blanche n’a pas seulement qualifié la France de « plus vieil allié » des États-Unis, mais également de « partenaire mondial vital » sur plusieurs questions.

« Si vous regardez ce qui se passe en Ukraine, si vous regardez ce qui se passe dans l’Indo-Pacifique et les tensions avec la Chine, la France est vraiment au centre de toutes ces choses », a déclaré John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale, aux journalistes. « Et donc, le président a estimé que c’était exactement le bon pays et le plus approprié pour commencer les visites d’État. »

Accompagné d’une délégation de ministres et de gens d’affaires, Emmanuel Macron est arrivé à Washington mardi soir. Il a commencé la journée de mercredi en se rendant au siège de la NASA en compagnie de la vice-présidente Kamala Harris. Et il a fini la journée avec sa femme Brigitte et le couple présidentiel américain dans un restaurant de Washington.

PHOTO KEVIN LAMARQUE, REUTERS

Emmanuel Macron a commencé la journée de mercredi en se rendant au siège de la NASA en compagnie de la vice-présidente américaine, Kamala Harris.

Réchauffer les rapports

Cette visite d’État intervient 14 mois après le grand froid dans la relation franco-américaine provoqué par l’affaire des sous-marins franco-australiens. Après le contrat de vente rompu par l’alliance de l’Australie, des États-Unis et du Royaume-Uni (AUKUS), la France avait notamment exprimé son indignation en rappelant son ambassadeur aux États-Unis.

Et les excuses publiques de Joe Biden n’avaient pas complètement amadoué Emmanuel Macron.

« Il en est de la confiance comme de l’amour, les déclarations, c’est bien, les preuves, c’est mieux », avait-il dit.

Cette première visite d’État à Washington depuis le début de la pandémie de coronavirus doit être considérée comme une preuve tangible de l’estime des États-Unis pour la France, selon Erik Goldstein.

Cette visite d’État a également pour but de symboliser et de faire savoir au monde et aux peuples des deux pays qu’il s’agit d’une relation étroite. C’est l’une des plus anciennes formes de diplomatie.

Erik Goldstein, professeur de relations internationales à l’Université de Boston

Ce qui ne veut pas dire que les deux chefs d’État oublieront leurs différends. Joe Biden, par exemple, n’est pas aussi chaud que son homologue français à l’idée de renouer le dialogue avec Vladimir Poutine.

De son côté, Emmanuel Macron s’oppose ardemment à un volet d’une des lois les plus importantes voulues par son homologue américain, à savoir l’Inflation Reduction Act (IRA), qui prévoit une enveloppe de 370 milliards de dollars pour lutter contre les changements climatiques. La mesure comprend un crédit d’impôt pouvant aller jusqu’à 7500 $ pour l’achat d’un véhicule électrique construit dans une usine américaine et équipé d’une batterie fabriquée localement.

Elle aura pour conséquence d’exclure du marché américain les véhicules électriques construits en Europe.

« Les choix faits, dont je partage les objectifs, en particulier l’IRA, sont des choix qui vont fragmenter l’Occident », a déploré en soirée le président Macron lors d’un discours devant la communauté française à l’ambassade de France. Il avait auparavant dénoncé les subventions « super agressives pour nos entreprises » devant un groupe de parlementaires américains, selon une journaliste de l’AFP présente dans la salle.

Emmanuel Macron sera-t-il capable de négocier des exemptions avec Joe Biden pour les entreprises européennes, sur le modèle de celles que le Canada et le Mexique ont obtenues ?

La question ne se réglera sans doute pas au cours de la deuxième visite d’État d’Emmanuel Macron à Washington. Mais celle-ci ne pourra guère finir plus mal que la première. Le président français rêvait alors de convaincre son hôte américain de ne pas tourner le dos à l’accord de Paris sur le climat et à celui de Vienne sur le nucléaire iranien. Son homologue avait fini par n’en faire qu’à sa tête.

Mais pas avant de l’avoir accueilli dans le bureau Ovale en balayant de la main le col de son veston noir.

« Je vais lui enlever ces quelques pellicules », avait déclaré le président des États-Unis à la surprise générale.

Et d’ajouter : « Nous devons le rendre parfait. Il est parfait. »

La scène n’était certes pas fastueuse, mais elle était symbolique.