La police de New York, plus grande force policière des États-Unis, a récemment rejoint une plateforme d’Amazon pour l’aider dans ses enquêtes. Mais les critiques craignent que cette technologie conduise à du profilage racial.

(New York) La police de New York s’appuie déjà sur une boîte à outils de haute technologie comprenant un logiciel de reconnaissance faciale, des drones et des camionnettes mobiles à rayons X. Elle a rejoint Neighbors, une plateforme publique de surveillance de quartier appartenant à Ring d’Amazon, où les propriétaires de sonnettes vidéo peuvent publier des clips et où les postes de police peuvent demander l’aide des habitants de la ville dans leurs enquêtes.

En annonçant la collaboration avec Ring, le commissaire de police Keechant Sewell a déclaré dans un communiqué que « la possibilité d’interagir en ligne avec les New-Yorkais — souvent en temps réel – s’ajoute aux stratégies globales de lutte contre la criminalité déjà employées par le NYPD ».

Mais la croissance considérable de l’initiative — plus de 2000 agences de sécurité publique du pays y ont adhéré, y compris à Los Angeles et à Chicago — a alarmé les défenseurs des droits numériques et de la vie privée qui affirment que la plateforme pourrait entraîner une surveillance excessive de la part de la police, un fardeau historiquement supporté par les non-Blancs.

PHOTO FOURNIE PAR RING

La plateforme publique de surveillance de quartier Neighbors

À New York, où se trouve la force de police la plus importante et la plus sophistiquée du pays sur le plan numérique, cette initiative représente une expansion spectaculaire de l’appareil de surveillance de la police. Voici ce qu’il faut savoir sur ce partenariat, ainsi que certaines des principales questions et préoccupations.

Que peut voir — et entendre — la police ?

L’application mobile Neighbors, qui était auparavant réservée aux propriétaires de Ring, mais est devenue librement accessible au public en 2018, permet aux utilisateurs de diffuser des messages et de discuter anonymement sur sa plateforme. Les flux se composent en grande partie de clips vidéo de paquets volés et de dommages matériels captés par les caméras Ring, avec des alertes sur les vols, les incendies et les crimes de l’« équipe d’information » de Ring insérées entre les deux.

Depuis le 2 novembre, les 77 commissariats de la ville peuvent consulter ces flux publics et les conversations entre voisins, et solliciter des images et des informations. En revanche, la police n’a pas la possibilité de visualiser ou d’exploiter les caméras Ring qui enregistrent en temps réel.

Les messages des forces de l’ordre, intitulés « demandes d’assistance », doivent être liés à une enquête spécifique et sont examinés par un modérateur de Ring avant d’apparaître sur l’application.

Quelques postes de police de la ville ont déjà commencé à utiliser Neighbors. Le 83e poste de quartier a mis en ligne deux demandes d’assistance pour obtenir des informations sur une tentative de vol le 14 novembre et sur un vol de bicyclette électrique signalé le 9 novembre. Le 77e poste de quartier n’a fait qu’une demande jusqu’à présent, pour obtenir des informations sur une agression survenue le 10 novembre.

Les utilisateurs peuvent ignorer ou même bloquer ces demandes de renseignements dans leur flux. Mais la police peut toujours obtenir des images privées par une ordonnance du tribunal ou directement auprès de Ring. Les demandes de ce type adressées à la société ne concernent que les urgences vitales et sont régulièrement rejetées, a déclaré Mai Nguyen, porte-parole de Ring.

Ring a fourni des images aux forces de l’ordre dans au moins 11 cas jusqu’en juillet de cette année, selon Amazon.

Les droits numériques sont-ils menacés ?

Avec plus de 10 millions de caméras Ring vendues, l’omniprésence de l’appareil a alarmé les groupes et les responsables de la protection de la vie privée numérique, qui affirment que des millions d’Américains sont enregistrés quotidiennement à leur insu.

Matthew Guariglia, analyste politique à l’Electronic Frontier Foundation, groupe de défense des droits numériques, a déclaré que la possibilité pour la police de visualiser les messages, même s’ils sont publics, était « déconcertante », car les membres ne peuvent plus utiliser la plateforme comme moyen d’éviter d’impliquer la police.

Le sénateur Edward J. Markey, du Massachusetts, s’est dit « troublé » par la « collecte de données invasive et l’engagement problématique de Ring avec les services de police » dans une lettre qu’il a envoyée à Ring en juin, signalant la capacité de l’appareil à enregistrer des conversations audibles jusqu’à une distance de six mètres. Les capteurs de la sonnette peuvent balayer jusqu’à trois mètres, selon le site web de la société.

Le droit du public de se réunir, de se déplacer et de converser sans être suivi est en danger.

Edward J. Markey, sénateur démocrate du Massachusetts, dans sa lettre demandant à Amazon de retirer la capacité de Ring à enregistrer des sons

Dans une réponse au sénateur le mois suivant, Amazon a refusé de désactiver les enregistrements sonores sur les sonnettes Ring.

Comment la police utilisera-t-elle les données qu’elle collecte ?

La police demande depuis longtemps l’aide du public pour identifier les suspects filmés par les caméras de surveillance dans les affaires sur lesquelles elle enquête, qu’il s’agisse de délits contre les biens, d’agressions ou d’homicides, et publie souvent les vidéos et les photos des suspects dans les médias sociaux et les communiqués de presse. Un porte-parole du service de police a déclaré que la plateforme servirait d’extension aux méthodes existantes de collecte d’informations de l’agence.

Les images et les séquences recueillies par la police par l’entremise de Neighbors pourraient ensuite être exploitées par un logiciel de reconnaissance faciale, que la police utilise depuis 2011 pour traquer les suspects.

Mais l’utilisation de logiciels de reconnaissance faciale est controversée. Des études ont montré que cette technologie était inexacte, en particulier lorsqu’il s’agissait d’identifier des femmes non blanches. Et il est possible que ces correspondances erronées soient ensuite transmises à d’autres agences, comme les services de l’immigration.

PHOTO DAVE SANDERS, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Eric Adams, maire de New York

Alors même que des groupes de défense des libertés civiles ont engagé des poursuites pour contester la constitutionnalité d’une technologie telle que la reconnaissance faciale, et que d’autres villes en ont interdit l’utilisation par les forces de l’ordre, le maire Eric Adams a laissé entendre qu’il souhaitait étendre le programme.

Quelles sont les préoccupations des militants concernant le profilage racial et la surveillance policière ?

Il y a trois ans, Vice News a passé deux mois à suivre le contenu de l’application dans une zone de 8 km couvrant le sud de Manhattan, la majeure partie de Brooklyn et certaines parties du Queens et de Hoboken, dans le New Jersey. Vice News a constaté que les personnes non blanches constituaient la majorité des messages étiquetés comme « activité suspecte ».

Cela fait écho à un schéma de comportement préoccupant qui a touché d’autres plateformes de surveillance de quartier, comme Nextdoor et Citizen, et qui, selon les groupes de défense des libertés civiles, pourrait donner une fausse impression de hausse de la criminalité et conduire à un profilage racial et à des arrestations injustifiées.

« La police de New York est en train de mandater les utilisateurs de l’application », a déclaré Donna Lieberman, directrice générale de la New York Civil Liberties Union, à propos de Neighbors. « La surveillance et la suspicion par la foule, comme celles qui ont lieu sur l’application Neighbors de Ring, sont influencées par les préjugés raciaux et autres des utilisateurs. »

La version originale de ce texte a été publiée dans le New York Times.

Lisez la version originale (en anglais)
En savoir plus
  • 15 000
    Dans un rapport publié en 2021, Amnistie internationale a expliqué que la police pouvait visionner les images de plus de 15 000 caméras de vidéosurveillance installées dans les seuls quartiers du Bronx, de Manhattan et de Brooklyn, dont un nombre disproportionné dans les communautés non blanches.
    Source : The New York Times